Jeune et ambitieux, Charles-Patrick, tout juste 21 ans, motive les jeunes des quartiers populaires à développer le meilleur d’eux-mêmes pour viser loin, tout en rêvant de créer son fonds d’investissement éthique.
Mars 2017, grande scène du studio 104, Maison de la Radio. Dans une vidéo postée sur Facebook, on y voit Charles-Patrick : chemise bleu clair, jean noir et baskets. La voix d’abord hésitante, son corps se dandinant de gauche à droite, d’un pied à l’autre. Il a deux minutes pour parler d’éducation, son thème de prédilection, lors du concours Debattle organisé par Le Mouv’ qui donne la parole aux jeunes sur des thèmes de société. Quinze minutes avant son tour, il a couché ses idées sur un brouillon, qu’il a ensuite jeté avant de monter sur scène. Pour se préparer, il a cherché des conseils sur YouTube. Dont une vidéo: « Un monsieur qui expliquait qu’il fallait faire attention à sa voix, parler doucement, regarder les gens. Du coup, je me suis entraîné à avoir une belle voix, un peu grave. » Trac qui lui torpille le ventre, il se lance. À coup de petites blagues bien placées, d’anecdotes personnelles et de chiffres pour corroborer, il défend sa vision qui repose sur le développement personnel et l’importance de sensibiliser tous les jeunes aux études pour accéder à la réussite. À la fin de son speech, il interpelle l’auditoire :
« Je vous demande de prendre cinq secondes. Pensez à votre rêve le plus fou et demandez-vous si vous n’aimeriez pas avoir l’opportunité de le réaliser ».
Timing parfait : « Et là, le décompte du chronomètre annonçant les dernières secondes s’est mis à retentir. Je ne l’avais pas prévu, mais ça a coïncidé. Il y a eu un silence, j’ai dit merci et je suis parti. » La battle est gagnée.
À la fin de sa prépa, Charles-Patrick commence à se poser des questions sur l’égalité des chances. Il fréquente toujours ses potes de lycée : certains ont arrêté l’école, d’autres se cherchent toujours.
« J’ai vu le contraste des trajectoires et ça m’a fait tilter, car je connaissais leur potentiel. Moi, j’ai eu de la chance, mes parents ont fait des études, ils m’ont bien conseillé. Pourtant, comme on dit chez nous : les gens sont chauds, ils ont les capacités ».
Chez lui : Clichy-sous-Bois, dans le 93. Ou plutôt son deuxième chez lui. Jusqu’à ses 13 ans, il grandit en Côte d’Ivoire. Le père est instituteur et la mère trésorière dans une école. Dernier d’une fratrie de sept enfants, il est envoyé en France chez son oncle « pour poursuivre mes études, parce qu’ils savaient que j’aurais d’autres d’opportunités ici. »
« Quand je suis arrivé en école de commerce, je me suis rendu compte que les connaissances académiques ne suffisaient plus, que le mot clé c’était le réseau. »
Il rencontre Article 1, se fait accompagner par un mentor et s’engage en faveur de l’égalité des chances avec les Different Leaders. L’année dernière, il est allé parler orientation et parcours scolaire à une classe de STG dans un lycée de Saint-Ouen. En se pointant avec son petit air juvénile, la réaction des élèves n’a pas tardé: c’est vraiment lui qui va animer l’atelier ? « Mais ça, c’est parce que j’étais imberbe, depuis ça a poussé », précise-t-il. Ensuite, il a enchaîné sur l’un de ses discours passionnés, sur la motivation personnelle, l’importance de s’informer. Bref, ne rien lâcher, avoir le mental, se battre quoi.
Charles-Patrick entouré de Different Leaders pendant le WE DL 2018
Chaque fois qu’il évoque l’un de ses projets, Charles-Patrick s’envole dans de longues tirades. Citant à tour de rôle Obama, Einstein, Gandhi ou encore des adages africains (« On est né pour trouver, on partira pour laisser. Rien ne nous appartient »). S’appuyant sur des articles ou des études qu’il a lus et prônant les actions de certains PDG. Il argumente en chopant verres et carafe posés sur la table devant lui, qu’il déplace tel un entraîneur expliquant sa tactique sur le terrain. Il faut dire que, du haut de ses 21 ans, des idées, Charles-Patrick en regorge.
Son objectif: créer un fonds d’investissement éthique. « C’est possible de faire en sorte que la finance permette à tout le monde de s’épanouir. Il y a une grande responsabilité de la part des dirigeants d’entreprises et des actionnaires pour inscrire leurs actions dans le long terme et en faire profiter à tous. Au départ, je me disais que c’était un peu utopique, car je suis en finance et ça ne correspond pas forcément à la mentalité. Mais, je me suis rendu compte qu’il y avait des dirigeants qui essayaient de montrer l’exemple, sauf que ça ne remonte pas suffisamment à la surface. » À force d’arguments, il a convaincu l’université Paris Nanterre de se faire incuber et développer son idée au sein du pôle PEPITE PON.
À côté de ça, Charles-Patrick tente aussi de commercialiser un prototype de « sac à dos-vêtement ». En clair, un sac à dos dont les bretelles seraient remplacées par un gilet sans manches. « On y croit hein ! », insiste-t-il, grand sourire, flairant l’hésitation. Au final, on a fini par lui retourner sa question: son rêve le plus fou, à lui, c’est quoi ? Question piège : il a d’abord botté en touche. Hésitant il explique alors :
« J’ai des rêves professionnels : créer mon fonds d’investissement, qu’il profite à tous… J’estime que la vraie indépendance passe par le travail. La vérité, c’est que l’argent c’est le nerf de la guerre, sans argent tu ne peux rien faire ».
En vrai, gamin, Charles-Patrick se rêvait basketteur professionnel. Le basket « parce qu’au foot, à Clichy-sous-Bois, il y avait déjà trop de concurrence ». Meneur sur le terrain, à la fin du lycée on lui propose de rejoindre une équipe junior professionnelle en national 3. Mais ce sera plutôt prépa: choix légèrement encouragé par les parents. La question l’a travaillé, il revient dessus et conclut : « Sinon, mon rêve ultime, c’est d’avoir une famille nombreuse. Sept enfants. C’est aussi pour ça que je travaille dur, pour ne jamais avoir de problèmes financiers. »
*** Par Magali Sennane @MagSenn & Gwel Photo ***