C’est en découvrant que son pays d’origine, le Bénin, était l’un des pays le plus touché par la vente de faux médicaments que Dayane a développé une solution de traçabilité par satellite permettant d’authentifier les médicaments partout dans le monde. Accompagnés par le Centre National d’Études Spatiales, Dayane, 23 ans, et ses quatre associés ambitionnent de normaliser leur système, notamment en Afrique.
Comment a débuté ton aventure entrepreneuriale ?
J’ai toujours voulu entreprendre. Quand j’étais en école d’ingénieur, en conception de systèmes électroniques embarqués, j’avais de nombreuses idées, mais je n’allais jamais au bout d’une réflexion. Puis, l’année dernière, j’ai participé à un hackathon scientifique organisé par mon école en partenariat avec le Centre National d’Études Spatiales (CNES) dont le but était de développer des applications utilisant les technologies du monde spatiale. C’est à ce moment-là que j’ai eu l’idée d’Icarus Astrotrust.
Pourquoi développer une solution pour lutter contre la consommation de médicaments contrefaits ?
Le marché de la contrefaçon de médicaments est plus lucratif que celui de la drogue. Selon une étude du Forum Économique Mondial, il a été estimé à 200 milliards de dollars en 2014. À l’échelle mondiale, nous n’avons pas de solutions suffisantes de traçabilité. En Europe, il existe ce qu’on appelle la sérialisation qui permet de suivre le médicament du fabricant jusqu’au pharmacien, mais cette solution ne permet pas au consommateur de vérifier l’authenticité d’un médicament. De plus, je viens du Bénin et c’est seulement quand je suis arrivé en France que j’ai découvert ce problème de médicaments contrefaits. Ma mère, comme toutes les femmes africaines, est une businesswoman : elle faisait de l’achat et de la revente de produits pharmaceutiques. Je me suis demandé si elle avait alors vendu de faux médicaments. Je ne sais pas si c’est le cas, mais j’ai creusé le sujet et j’ai constaté que le pays d’où je viens est l’un des pays où l’on retrouve le plus de faux médicaments. J’ai donc voulu apporter une solution à ce problème et, en quelque sorte, réparer les erreurs de ma mère.
Comment ces faux médicaments se retrouvent-ils sur le marché ?
Ils sont vendus à des grossistes par des fabricants basés majoritairement en Asie. Ces grossistes eux-mêmes ne savent pas forcément qu’ils revendent de faux médicaments. Le problème, c’est qu’on retrouve ces médicaments partout en Afrique. Mais pas seulement : récemment, on a retrouvé de faux médicaments dans des officines de pharmacie britanniques et allemandes. En France, le consommateur a très peu de chance de tomber sur un faux médicament lorsqu’il l’achète en pharmacie, mais s’il l’achète sur internet, il n’a aucun moyen de vérifier son authenticité. L’idée, c’est donc de proposer une solution de vérification pour le consommateur.
Comment fonctionne donc la solution proposée par Icarus Astrotrust ?
Nous développons un module permettant la traçabilité du médicament par satellite. Concrètement, nous installons sur les lignes de production des laboratoires un boîtier récoltant un certain nombre d’informations : la géolocalisation du laboratoire, le numéro de lot du médicament, la date d’expiration, etc. Avec ces informations, nous générons un QR code (ou une Datamatrix) qui est imprimé sur le conditionnement primaire et secondaire du médicament, c’est-à-dire la boîte et l’emballage. Ce code permet ainsi de suivre le médicament tout au long de la chaîne de distribution. Quand le pharmacien le reçoit, il scanne le QR code afin de signifier qu’il est bien arrivé. Le médicament est donc tracé et le patient peut lui aussi le scanner à n’importe quel moment avec son mobile pour vérifier les informations et son authenticité. Ce système a l’avantage d’être international puisque nous utilisons des satellites : nous pouvons donc suivre un médicament produit en France jusqu’en Afrique, ce qui n’est pas le cas avec la sérialisation aujourd’hui.
Ce système est donc limité aux vrais médicaments, fabriqués dans des laboratoires partenaires ?
En effet, mais notre mission consiste à détecter les vrais médicaments. Il n’y a aucun moyen permettant de repérer les médicaments qui ne sont pas dans les circuits légaux. Nous, nous traçons les médicaments qui ont été tagués avec notre QR code, donc nous protégeons une chaîne de distribution afin d’éviter que des médicaments venant de chaînes de distribution parallèles interfèrent. On offre ainsi la possibilité au patient de faire la distinction entre un vrai et un faux médicament lorsqu’il se le procure dans un endroit qui pourrait potentiellement vendre des vrais et des faux médicaments.
N’existe-t-il pas cependant un risque de falsification du QR code ?
Oui, le risque existe. Toutefois, la force de notre système repose sur le fait que chaque QR code est unique et fonctionne avec un signal satellite qui permet de suivre chacun d’entre eux partout dans le monde. Si un QR code est dupliqué par un contrefacteur, le système sera donc capable de le détecter.
Votre solution repose donc aussi sur la collaboration des laboratoires ?
Oui et certains laboratoires ont déjà accepté de participer à une phase pilote que nous sommes en train de mettre en œuvre. Nous travaillons notamment avec un petit laboratoire situé à Torcy qui a des lignes de production en Malaisie, en Chine et en Inde. C’est un processus de décision qui prend du temps à mettre en place. Notre objectif est de normaliser notre solution sur le marché africain, mais aussi la proposer aux laboratoires français qui seraient intéressés. Car notre solution est plus adaptée à la problématique du marché et moins chère que la sérialisation qui coûte entre 500 000 et 700 000 euros. Par ailleurs, nous sommes aussi soutenus par de nombreux partenaires : l’Organisation mondiale de standardisation (GS1), l’Union des fabricants, le CNES, Expertise France, la Fondation Chirac, l’association de la santé et de l’hygiène publique, le ministère de la Santé du Ghana et le ministère de la Santé et de l’action sociale du Sénégal.
Quel est le plus grand défi pour vous aujourd’hui ?
Le financement. Notre technologie repose sur l’utilisation d’un brevet du Centre National d’Études Spatiales dont nous développons la preuve de concept, qui coûte 180 000 euros à l’année. Nous avons besoin également d’obtenir des aides publiques pour faire de la R & D (recherche et développement), ce qui demande d’avoir quelques fonds propres en amont. Quand j’ai commencé l’aventure, la première chose que je me suis demandé a été si je devais quitter mon job d’ingénieur. J’ai fini par le quitter et j’ai investi mon argent dans l’achat de matériel, parce qu’on a besoin de se prouver que ce qu’on raconte est bien réel.
Pour finir, quel conseil donnerais-tu pour entreprendre ?
Il faut se demander si ce qu’on a envie de faire permet de résoudre un problème. Plutôt que de se focaliser sur ce qu’il se passera si ça ne marche pas, il vaut mieux se demander: et si ça marche ? J’ai aussi eu la chance de découvrir le programme Tous entrepreneurs. Je suis pratiquement sûr qu’aujourd’hui en Ile-de-France il n’existe pas d’équivalents: un programme qui se rapproche d’une incubation et qui accompagne les entrepreneurs financièrement sans demander de parts dans la startup. Non seulement ils financent le développement du projet, mais aussi tout ce qui touche au développement personnel, comme la prise de parole en public et d’autres softs skills indispensables pour un entrepreneur. Je me dis donc que si quelqu’un peut être dans ce type d’environnement, toutes les conditions sont réunies pour entreprendre sereinement pendant une année.
Tous Entrepreneurs est soutenu par la Fondation SFR