La jeune fille de 24 ans s’est frayé un chemin de sa Dordogne natale jusqu’à la capitale. Diplômée en RSE et Environnement, elle souhaite se servir de ses acquis pour promouvoir la diversité en entreprise.
Elle a commencé par ça : elle vient de Dordogne. Et, d’emblée, comme s’il s’agissait d’une contrée lointaine, elle a ajouté : « Généralement, soit les gens connaissent parce qu’ils y passent leurs vacances, soient ils ne la situent pas du tout ». Consciencieuse, elle a continué d’expliquer : le chef-lieu, c’est Périgueux. C’est là qu’elle a été scolarisée en grande partie. Autour, il y a des petits villages. C’est là qu’elle a habité, à différents endroits, selon les époques. Du côté paternel, on est agriculteurs depuis trois générations. Du côté maternel, c’est plutôt travail à la chaîne dans l’usine du coin, depuis trois générations aussi. Jusqu’à Annabelle, qui finira par casser véritablement le maillon.
Lunettes rondes cerclées de noire, cheveux blonds, longs et lisses, Annabelle parle d’une voix douce qui laisserait penser à une certaine timidité. Pourtant, elle surprend en se livrant sans concession. Très vite, l’on comprend que l’ancrage familial et ses racines paysannes sont très importants. Souvent, encore, elle utilise les termes « ma maman » ou « mon papa », pour parler de ses parents. Sa mère, répète-t-elle, reste l’un de ses modèles.
« Quand j’étais au collège, elle a repris ses études pour faire un BTS secrétariat agricole qu’elle a obtenu en un an. C’était la première fois que quelqu’un de ma famille passait un diplôme. Je me suis dit que si ma mère y était arrivée avec deux enfants à la maison, je pouvais le faire. »
Au lycée, ce qui l’a boostée c’est un prof. Pas vraiment grâce à ses encouragements. En 1ere S, ses notes sont loin d’être excellentes. À la fin de l’année, puisque ce sont désormais les élèves qui décident de leur passage, elle fait le pari de continuer en terminal. À l’exception de sa prof de SVT, personne dans le corps professoral ne la soutient. Encore moins ce prof de physique-chimie qui s’acharne davantage que les autres sur son redoublement. La blessure, qui a provoqué chez elle un regain de combativité à coup de « vous allez voir », a laissé des stigmates : « Le jour où j’ai obtenu mon bac S, je n’avais qu’une seule envie, aller voir ce professeur pour lui montrer que j’avais réussi. Et, aujourd’hui encore j’y pense », confie-t-elle.
Perdue dans les méandres de l’orientation, les contours d’un objectif se dessinent en Terminal. Son choix s’arrête sur les DUT Gestion des Entreprises et des Administrations, « parce que ça restait général ». En fait, jusqu’en master 2, elle basera ses choix sur ce même critère : des filières ne l’enfermant pas dans une case. « Je m’intéresse à de nombreux métiers, justifie-t-elle, en France on a tendance à se spécialiser dans un cursus, mais moi ça ne me convient pas. Je préfère faire d’abord un cursus plus général et ensuite me spécialiser. »
Départ pour l’IUT à Perpignan : elle est la première de sa famille à quitter la Dordogne. Ensuite, ce sera Saint-Quentin-en-Yvelines. Un jour, alors en licence 3 management des organisations, elle passe devant une école d’ostéopathie qui organise des évènements pour les entreprises. CV à la main elle revient spontanément leur proposer ses compétences pour un stage. Ça marche : « Ils se sont dit que j’en voulais ».
Depuis l’adolescence, Annabelle joue avec entrain les organisatrices de soirées. Une sortie ou des vacances avec les copains : c’est elle qui prend les choses en main de facto. Un petit côté rigoureux, dira-t-on, qu’elle assume totalement : « C’est vrai qu’on me le dit souvent ! Parfois ça m’est presque reproché, mais voilà ça fait partie de moi ». Du coup, l’idée lui trotte depuis un moment d’accorder son violon d’Ingres avec son activité professionnelle. À l’école d’ostéopathie, elle propose d’organiser des séminaires d’entreprise autour du bien-être des salariés. « Ils trouvent l’idée géniale et on monte le projet. C’est là que je me suis dit que je pouvais faire de l’événementiel, mais dans quelque chose qui a du sens pour moi. »
À cette époque, alors mentorée d’Article 1, elle décide de s’investir davantage dans l’association en montant des ateliers et des rencontres inspirantes au sein de sa fac.
« Au départ, ce qui m’intéressait, c’était surtout l’aspect réseau : j’arrivais à Paris je ne connaissais personne, je ne connaissais rien. Dans ma famille, je n’avais aucun exemple de réussite scolaire, même la fac: personne ne pouvait m’en parler. Quand j’ai regardé mon parcours je me suis dit que j’aurai bien aimé, dès le début, qu’on m’explique clairement tout ce qui existait, qu’on me dise ‘allez, tu vas y arriver’. J’avais ce côté ‘zone d’ombre’ par rapport aux études et ce que je voulais faire. »
En Dordogne et dans les campagnes françaises, continue-t-elle d’expliquer, les perspectives d’avenir professionnel sont limitées. Moins d’outils d’informations, moins de stages à disposition, moins d’entreprises qui recrutent. Et aussi, tente-t-on de demander, pas mal de misère sociale qu’on a délaissée. Le terme la pique. Silence, puis elle acquiesce, gênée, d’un petit : « C’est ça… ».
Annabelle rêve d’apporter plus de diversité en entreprise. Son point d’entrée, elle l’envisage par la voie de la RSE (responsabilité sociale des entreprises). Notamment, pour que certaines entreprises arrêtent d’embaucher uniquement des gens qui viennent de grandes écoles payantes. Elle explique, d’un ton calme qui contrebalance avec ses propos, que le sujet la met hors d’elle.
« Certes, je n’ai pas une école de commerce à 15 000 euros à afficher sur mon CV, mais j’ai pourtant les mêmes compétences, j’en suis convaincue. Je n’ai peut-être pas acheté le réseau qui va avec l’école, mais je me le suis créé. Il n’y a aucune raison de ne pas arriver au même but. »
Désormais diplômée d’un master 2 en RSE et environnement, celle qui dit ne pas pouvoir rester inactive a déjà des projets plein la tête. Comme celui d’écrire un livre sur la diversité et le bien-être au travail : « Parce que je trouve qu’il y a un vrai lien ». Quand on lui demande si elle a déjà écrit, elle répond que non : « C’est un défi personnel, un rêve depuis que je suis petite ».
Elle ambitionne aussi, à terme, de créer sa propre entreprise. « J’aime prendre mes propres décisions, avancer selon mes idées. C’est ce côté autonome que j’ai envie de retrouver. Rien n’est encore défini, mais ça sera forcément dans un domaine qui m’intéresse. » Du haut de ses 24 ans, parfois, quand elle regarde en arrière Annabelle a déjà l’impression d’avoir vécu plusieurs vies. Et surtout, elle a le sentiment d’avoir fait le nécessaire pour se sentir accomplie.
*** Par Magali Sennane @MagSenn & Gwel Photo ***