Pour sortir des quartiers Nord de Marseille où il est né, Abdellah ne s’est pas donné le droit à l’échec. Des injustices ressenties, ce gamin un brin révolté en a fait très tôt une source de motivation. Entre copains de la cité, sport, job secret, cours effrénés et vie professionnelle, Abdellah navigue d’un monde à l’autre sans jamais sembler inadapté.
“Président”, un surnom qui lui vient de ses années collège, dans les quartiers nord de Marseille. “C’était une blague entre copains, mais il y avait un fond de vérité, raconte Abdellah. J’y pensais, mais je me suis dit que ça ne serait jamais possible, préfet à la limite oui.” Finalement la politique, pour lui, non. Minot, Abdellah se rêve davantage médecin ou “dans le business”. Médecin parce que la maman y voit un modèle de réussite, le business pour les voyages, les négociations et aussi l’argent.
“Je n’ai pas peur de le dire : l’argent a été un critère déterminant. Quand tu viens des quartiers nord ça compte, t’as envie de bien vivre”.
Abdellah parle en faisant des gestes et claque parfois des doigts pour appuyer ses paroles. À l’aise aussi bien dans ses propos que dans son costume qu’il enfile pour son stage de consultant IT chez KPMG à La Défense, il laisse tout de suite entendre sa détermination.
À défaut d’être président, Abdellah sera six années de suite -de la 5ème à la Terminale- délégué de classe. Bon élève, mais aussi pote avec les plus rebelles, le profil passe bien. “J’étais la bête noire du proviseur au lycée, car je dénonçais les injustices. Mais je faisais évoluer les choses.” À l’école, le petit n’est pas là pour rigoler. Une fois, il n’hésite à convoquer l’inspection générale de l’éducation nationale pour sa prof d’anglais qui n’est pas assez assidue. “Je rêvais d’apprendre l’anglais, je savais que c’était important pour plus tard. Quand à deux ans du bac j’ai vu ce professeur qui ne venait jamais, je ne trouvais pas ça normal.”
Très tôt, il comprend les inégalités du système scolaire. Quand il rêve d’intégrer des lycées avec plus de mixité sociale, il n’est pas retenu dans ceux qu’il demande. Il ne s’était pourtant pas attaqué aux plus prestigieux et revendique un bon bulletin scolaire. À la place, on l’envoie au lycée Victor Hugo, situé dans l’un des quartiers les plus pauvres de France.
“J’étais révolté. Je me suis dit que c’était toujours pareil, les Noirs et les Arabes on nous met ensemble. Moi, je voulais voir autre chose”.
En dehors de l’école, loin du cliché marseillais, c’est dans le rugby qu’il s’épanouit. De 7 à 17 ans il joue en club, à deux doigts d’y faire carrière même. Ses origines sociales dénotent un peu avec celles de ses coéquipiers. “Je venais d’un endroit improbable, mais ça me faisait rire, car j’étais bon.”
Son bac S avec mention en poche, il rentre à la Kedge Business School. Problème, il faut débourser près de 17 000 euros sur trois ans. Abdellah n’a pas peur de “charbonner”, comprendre “travailler”. Il prend un job à Darty qui l’occupe tous les samedis. Mais surtout, l’année du bac, il devient gendarme réserviste. Un job qu’il garde secret pendant des années. Sa carte de gendarme à la main, fier, en tant que fils d’immigrés algériens il explique : “Si je continue à exercer aujourd’hui, c’est par choix. J’aime ça et c’est aussi une manière de dire merci à la France, de me sentir français à part entière”.
Puis, arrive la première année d’école de commerce. Une claque. Avec ses camarades il n’est pas en adéquation : “On n’avait pas la même trajectoire. On ne parlait pas des mêmes choses.” Pour la première fois, il entend parler du mot réseau.
“J’ai compris que même si je n’étais pas idiot, ça n’allait pas vraiment compter. Ce qui est important c’est ton réseau, tes parents qui t’aident à trouver un stage. J’ai commencé à douter”.
C’est là qu’il découvre Article 1 au sein de l’école. Il y rencontre Stéphanie qui sera sa tutrice pendant trois ans. Ensemble, ils travaillent son CV et sur les codes à adopter.
La même année, il gagne un concours de Article 1 pour partir aux États-Unis à la rencontre d’entrepreneurs. Séduit par le pays il veut revenir pour son stage de deuxième année. “Je courais après les interlocuteurs en leur demandant dans mon anglais approximatif ‘excuse me do you have an internship for next year’ ” se moque-t-il de lui-même. Pari gagné il décroche un stage de six mois en Californie. Dans l’avion, une petite larme coule quand il réalise qu’il part seul à l’autre bout du monde. Allez t’es un bonhomme qu’il se dit.
L’argent, la réussite scolaire. A 23 ans, actuellement en master 2 à Telecom Ecole de Management à Evry, Abdellah prend déjà du recul sur son parcours et ses ambitions passées. “L’argent ne fait pas tout, si tu travailles dans un secteur ou une entreprise où tu ne t’accomplis pas, c’est ta vie que tu mets en jeu.” Toutes ces années, il s’est réinvesti au sein de Article 1. Pour renvoyer l’ascenseur. Et puis guider les jeunes, même les turbulents, il aime ça.
“Quand je vois l’auto-censure, tous les talents et tout ce gâchis ça me fait de la peine.”
Gamin des quartiers, joueur de rugby, gendarme, étudiant en école de commerce, stagiaire dans des entreprises prestigieuses… Sourire en coin et œil malicieux, il le reconnaît:
“s’il y a bien une chose dans laquelle je suis devenu un expert, c’est naviguer entre différents mondes à la fois.”
*** Par Magali Sennane