Ayant quitté l’école à 16 ans pour tenir une pizzeria, les chances de voir Alexandre être diplômé de l’EM Lyon et de l’IEP de Lyon dix ans plus tard étaient infimes. Et pourtant, après s’être mis une pression acharnée pour réussir une aventure entrepreunariale, le multi-diplômé poursuit désormais un double objectif : conjuguer « réussir » au pluriel et relier les univers sociaux et professionnels trop étanches.
La vie d’Alexandre ressemble à la Fable du Lièvre et de la Tortue où, après avoir été le lièvre fonçant vers le monde du travail en négligeant l’école, il réalise soudain la sagesse de la tortue et se métamorphose. Alors, il retourne à l’école et, non content d’être diplômé d’une grande école de commerce, prolonge le plaisir des humanités d’une année supplémentaire en sciences politiques. Mais l’allégorie s’arrête au message du fabuliste, car dans la vie l’attitude du jeune homme relève plutôt d’un infatigable amateur de courses, mû par des envies culturelles, professionnelles et sociales.
Né à Nice il y a 24 ans, il grandit avec sa mère, assistante sociale, la seule de sa famille à avoir fait des études supérieures. Aussi, l’école n’est pas franchement une priorité et Alexandre s’étiole lentement dans un collège en banlieue niçoise, à St Laurent. Des fréquentations qui poussent peu à l’excellence scolaire ; « la démotivation s’installait. Je n’avais jamais redoublé, pas de problème particulier, mais je voulais ce qu’avaient mes potes, un scooter et de la liberté. J’ai travaillé dans une pizzeria où le pizzaiolo est parti un soir et où l’on m’a confié des responsabilités. Petit à petit, je gérais la cuisine et quand on m’a offert un CDI, j’ai foncé. Tant pis pour les diplômes, je voulais de l’autonomie ». Et voilà Alexandre pris d’envies d’entreprendre.
Du haut de ses 16 ans, il met un pécule de côté et se voit créer son entreprise. Il propose à un gérant d’une boutique de DVD de monter un système de dépose à domicile avec retours des DVD dans des points de collecte. Le système se lance et le gérant lui propose de reprendre son affaire, à condition de réunir 10 000 euros pour détenir le stock. Sa famille le suit sur le principe, mais ne peut financer. C’est face à ces propres limites en matière économique qu’il réalise qu’il n’ira pas plus loin sans formation : « on m’a demandé un business plan et j’ai péniblement réussi à fournir quatre pages Word guère convaincantes. Je suis retourné au lycée et me suis inscrit en dernière minute pour une seconde générale où je ne fis pas de vague et m’oriente en STG, pour acquérir les rudiments de gestion avant de lancer mon affaire »
A côté de ses études, il livre des pizzas pour continuer à gagner sa vie. C’est également à cette période qu’il fait la rencontre la plus importante de sa vie, sa petite amie, avec qui il vit depuis sept ans :
« sans elle, je n’aurais pu réussir tout mon parcours. Elle m’a soutenu à chaque fois, aidé à faire la part des choses et m’a poussé à me dépasser. J’espère que c’est réciproque et je le crois, quand je l’ai rencontrée elle était en bac pro et aujourd’hui elle fait une licence Pro en RH : on est pareil, déterminés et travailleurs »
Retourner à l’école pour savoir faire un business plan
En travaillant, il obtient un bac avec mention. Problème, le marché du DVD s’est effondré entre temps et il est sans projet d’entreprise clair devant lui, Alexandre pousse ses études un peu plus loin. Hésitant à aller en faculté, il est finalement séduit par le discours des prépas ECT et se retrouve dans une classe modeste où les grandes écoles n’existent pas dans les discours. Et pourtant, cette auto déprime galvanise le jeune homme : « on nous serinait que le dernier accueilli en très grande école dans notre lycée remontait à une trentaine d’années. Du coup, même en étant premier de la classe, je me remettais sans cesse en cause, ne voulais pas devenir borgne au royaume des aveugles et mettais les bouchées doubles »
En seconde année de prépa, Article 1 lui propose de bénéficier du tutorat d’un responsable de Gemalto « mon premier contact avec quelqu’un qui évolue dans une grande entreprise, il m’a sur-stimulé et poussé à m’arracher pour les oraux » Et ça marche, l’EMLYON est au bout du chemin !
Dès son entrée à l’école, Alexandre entend payer toute sa scolarité sans emprunt pour ne pas avoir de dettes au moment de monter sa future entreprise. A côté des cours, il fait un stage en start-up et rejoint la Junior Entreprise de l’école où il va s’impliquer sans relâche pour sa plus grande satisfaction et celle de son compte en banque :
« ce fut une expérience si enrichissante à tous points de vue ; j’allais à la rencontre de clients, Adecco, April, Vinci, McKinsey… Nous trouvions des clients, proposions des solutions, assurions notre développement. On a gagné le concours des meilleures Juniors Entreprises de France, doublé le chiffre d’affaires pour terminer à 350 000 euros, tout ceci a incroyablement développé ma confiance en moi et boosté mon envie d’entreprendre. Et en plus ça m’a permis de financer mes deux dernières années d’école, donc je n’en retiens vraiment que du positif ! »
Ambassadeur de l’égalité
Si l’auto-suffisance financière est une nécessité pragmatique qui le pousse à cumuler des petits boulots, ce qui fait respirer le jeune homme est ailleurs. Passionné de cinéma et de lectures, Alexandre se donne le temps de lire et a abandonné le sport pour se réserver quatre heures hebdomadaires d’engagement associatif. Il se rend dans les lycées pour accompagner des jeunes issus des quartiers populaires, témoigner, conseiller et les guider vers Article 1. Pris d’un doute sur l’association, il se rend sur le site internet et découvre que l’association agit aussi en école. Il écrit et trouve une nouvelle tutrice, qui travaille chez Accenture. L’aventure reprend et continue encore aujourd’hui,
« Article 1 est toujours arrivé au moment idéal dans ma vie. Mes tuteurs étaient très complémentaires, certains m’ont donné des codes, une autre m’a boosté pour le mentoring en anglais avec une demie-heure de discussion hebdomadaire tellement plus profitable que des dizaines d’heures de cours. Et l’an dernier, quand Adecco a rejoint le dispositif, j’ai eu la chance d’être tutoré par le DG de l’une de leur Business Unit. Article 1 m’a donné mille fois plus que ce que je peux rendre, être ambassadeur c’était le minimum pour les remercier pour tous les tuteurs, la communauté de réussite… Plus tard, s’ils ont besoin de moi comme tuteur c’est évidemment avec plaisir que je renverrai l’ascenseur »
Après avoir été certain d’être né pour être entrepreneur, Alexandre remet en question sa certitude suite à de nombreuses rencontres. D’abord, en partant pour un stage de six mois à New York, grâce à l’offre de stage la plus folle qui soit : développer l’image d’une galerie d’art à Harlem qui le logeait en plus de le payer. Une parenthèse de six mois dans Big Apple, où sa petite amie le rejoignit et où il évolua en complète autonomie et revint en France bien meilleur en anglais, « quand tu quittes l’école très tôt, même si tu reprends, l’année de césure fait très mal pour les langues étrangères et l’orthographe et aujourd’hui encore, je lutte pour combler ces lacunes » Et cette volonté de combler ce manque initial le pousse à intégrer l’IEP de Lyon en double diplôme, en septembre 2014 : « je suis en train de me construire, il me manque encore une ouverture sur de nombreux sujets que j’ai trouvé là-bas, en géopolitique, en culture générale. Cette école m’oblige à lire sur des sujets dont j’ignorais tout et j’adore cela »
Acteur du changement
Et la dernière rencontre, décisive, ne se fait pas à l’école mais au cours d’un week-end de la communauté de réussite d’Article 1. Alexandre entend Mathieu Dardaillon présenter son projet « Ticket for change » qui propose un tour de France de l’entrepreunariat social. Le projet fait tilt pour le lecteur de Yunus qui postule au tour et embarque pour une aventure collective de 10 jours qui l’a marqué comme si elle avait duré 10 ans. Des rencontres fabuleuses avec les entrepreneurs et surtout les participants comme lui. Pour prolonger l’expérience, Alexandre va faire un stage à Paris, chez Ticket for Change, une expérience qui lui a fait réaliser que l’entreprenariat n’était pas l’alpha et l’omega de la réussite :
« ces dix dernières années, je me suis mis une pression de fou pour entreprendre, mais si demain je peux rejoindre une aventure qui me parle, j’irai. L’important, c’est de changer la donne, peu importe que ce soit à l’extérieur ou à l’intérieur d’une organisation. L’open innovation me passionne pour cela : faire bouger les gros mastodontes, amener les valeurs innovantes et sociales là où elles ne sont pas. Si j’ai retenu une chose de mon parcours c’est le besoin de relier les mondes : les jeunes avec qui je traînais à Nice se méfient du discours des jeunes d’école de commerce, qui eux-même ignorent tout de la réalité du quotidien des milieux populaires. C’est une telle perte pour le pays. Si je peux contribuer à rapprocher ces mondes, à faire entendre à tous qu’il y a mille moyens de réussir, j’aurai fait quelque chose d’utile »
Diplômé de l’EMLYON et de l’IEP en septembre 2016, il aura tout pour se lancer, mais préférera sans doute se donner une année pour sillonner la planète avec sa petite amie, à la rencontre de parcours inspirants pour revenir plus sage et plus riche d’expériences de changements à importer en France. Lièvre et tortue à la fois, il est parti à point et continue de courir.
Texte de Vincent Edin