À 25 ans, Donia a déjà lancé son entreprise à impact social qui aide les femmes immigrées à s’émanciper grâce à leurs talents culinaires.
La scène est plutôt inhabituelle. Dans la salle de pause du Medef, Donia court entre des amas de boîtes entassées et des plateaux débordants de mignardises cosmopolites. Ce jour-là, Donia est « en presta », missionnée pour nourrir les 250 personnes venues écouter les vœux de Pierre Gattaz. Il y a un an, elle a lancé avec deux amis une entreprise de traiteur atypique. Avec comme idée de proposer une cuisine du monde réalisée par des mamas, des femmes immigrées qui cherchent à s’émanciper à travers leur cuisine. On avait déjà rencontré Donia quelques jours plus tôt. Le rendez-vous avait été donné dans un centre culturel iranien. « Un endroit génial pour travailler. En plus, la nourriture y est vraiment trop, trop bonne. » Le péché mignon était déjà mise à nu.
Ordinateur portable posé devant elle et téléphone sur le côté, Donia, 25 ans, a l’audace de cette nouvelle « génération startupper ». Décontractée en toutes circonstances, sympa, avec un goût de liberté que les anciens qualifieraient d’inconscience. Il y a un mois, elle a lâché un CDI fraichement acquis de consultante junior pour se consacrer à son projet entrepreneurial. Un peu flippée, mais pas trop.
« J’étais tellement fatiguée. Entre mon travail de consultante et l’entreprise, je ne dormais plus beaucoup. Depuis deux ans, je travaillais tous les week-ends. »
À 17 ans, grâce aux conventions éducation prioritaire, Donia intègre les rangs de Sciences Po Paris avec deux voies en tête : le marketing ou la diplomatie. Le grand écart. L’année suivante, elle part étudier à l’étranger. Elle choisit une fac dans le Missouri, aux États-Unis : « Je voulais vivre l’expérience du campus à l’américaine ». L’occasion aussi de découvrir de nouvelles matières: histoire afro-américaine, réalisation de film et, surtout, engagement communautaire. Pour la première fois, elle goûte au bénévolat :
« Dans le cadre de ce cours nous devions nous engager auprès d’une association au moins cinq heures par semaine ».
La plupart de ses camarades optent pour une association qui propose de l’aide aux devoirs. Donia choisit un refuge pour femmes victimes de violences conjugales. Pour le spring break, ce sera huile de coude à la Nouvelle-Orléans plutôt que cocktail à Cancún. Pendant une dizaine de jours, elle retape une église avec un prêtre, prête main-forte à une banque alimentaire, donne des cours du soir et travaille dans un refuge pour sans-abris.
Retour à Sciences Po Paris et inscription en master, spécialité marketing. Trois jours après, elle se rétracte.
« Je me suis finalement inscrite en master Affaires publiques. Là au moins, je pouvais faire quelque chose pour servir l’intérêt général alors qu’en marketing je n’allais pas me sentir utile. Ça correspondait plus à ce que je visais ».
Entre le master 1 et 2, elle fait une année de césure. Elle trouve un stage dans une délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement. En parallèle, elle bosse le soir comme secrétaire dans un cabinet d’avocat, puis à l’Essec comme hôtesse d’accueil le samedi. Une fois par semaine, le midi, elle donne des cours de français à des réfugiés. Plusieurs fois par mois aussi, elle rend visite aux enfants hospitalisés avec l’association Premiers de Cordée. Six mois plus tard, elle trouve un nouveau stage chez PwC en conseil marketing business développement. Le salaire est au-dessus de la moyenne pour un stage, mais les missions ne la passionnent pas. « Je reste quand même en me disant que c’est seulement pour cinq mois. »
Chez PwC, elle rencontre Loubna, sa future associée. Les deux jeunes filles se rêvent dans l’entrepreneuriat, tout en ayant un impact sur la société. Un jour, Donia tombe sur le film The Lunchbox. Révélation. « Dans le film, il y a une femme qui adore cuisiner. Comme elle, elles sont nombreuses à aimer ça, mais à le faire uniquement chez elle, c’est dommage », constate Donia. Depuis toujours Donia est fan de bonne chaire et de bons plans resto qu’elle partage avec ses copines. Elle s’imagine monter un restaurant du monde, avec une carte unique et des « mamas » mises à l’honneur. Pas d’apport financier : le plan tombe aussi vite qu’un soufflé.
« C’était l’époque où les services de livraison se développaient. On s’est dit qu’on pourrait faire de la livraison de plats à la place. Deux jours après, on contactait une association de femmes qui a adoré le projet et nous a présenté des mamas.»
Donia et Loubna débutent en proposant un service de traiteur lors de petits événements obtenus par bouche à oreille. « On s’est lancées avec trois fois rien lors d’un start-up week-end. Lors du premier événement, nous sommes venues avec nos marmites, c’était de la pure improvisation. »
Dernière année d’école. Donia est en alternance, le temps manque et les événements s’espacent. Elle dispense toujours des cours de français à des réfugiés et l’idée lui vient de proposer des ateliers de cours de cuisine à domicile. Elles commencent à réaliser quelques ateliers le week-end. L’été arrive et la fin des études aussi. En quelques semaines, Donia se dégote un poste pour la rentrée de consultante chez Tenzing, un cabinet de conseil qui partage ses valeurs. En juillet, elle s’envole pour l’Égypte pour travailler dans un orphelinat pour garçons et des centres d’accueil pour filles. Jamais, Donia ne laisse échapper une pointe de tristesse dans sa voix quand elle évoque ses missions humanitaires. Au contraire, tout sourire, elle s’explique sans s’éterniser :
« J’ai perdu ma mère quand j’étais plus jeune et je me suis toujours dit que j’avais de la chance d’avoir encore mon père alors que d’autres n’ont plus personne. C’est quelque chose que j’ai toujours voulu faire et, en plus, j’adore les enfants. Je voulais même créer un orphelinat à la base ».
Un an plus tard, Donia quitte son CDI pour s’investir à temps plein dans Meet My Mama avec ses deux associés Loubna et Youssef.
« En 2017, nous avons activé 17 femmes, travaillé avec plus de 60 entreprises, régalé plus de 10 000 personnes et cuisiné près de 60 000 mignardises. On a créé la Mama Academy, la première académie pour former et outiller les femmes migrantes qui souhaitent vivre de leur passion pour la cuisine. », lance-t-elle, rôdée à l’exercice de communication.
Elle croit en sa bonne étoile. En quelques mois, Donia a intégré le programme Les audacieuses de La Ruche, qui encourage l’entrepreneuriat au féminin et est Fellow de la Fondation Ariane de Rothschild. Meet My Mama est également accompagnée par la société privée d’investissement The Family, tout en étant incubée à la station F. En parallèle, Donia réfléchit déjà à son prochain projet humanitaire. Son rêve : partir en Inde et créer avec une amie, avant ses 30 ans, le premier centre de loisirs mobile pour les enfants des rues et les orphelins.
*** Par Magali Sennane & Gwel Photo ***