Après des débuts scolaires hasardeux, la vie étudiante et professionnelle de Jean-Louis a pris un nouveau virage en rencontrant son mentor via Article 1. Aujourd’hui ingénieur en télécommunication, il revient sur la force motrice de son parcours : la confiance en soi et en l’avenir.
Retracer le parcours de Jean-Louis, c’est un peu comme reconstituer un puzzle dont on vous donnerait les pièces maîtresses de temps en temps. On comprend par moment que ce grand gaillard de 31 ans à la carrure de rugbyman a vécu des choses pas toujours faciles qu’il tente de minimiser derrière un petit air flegmatique. Et puis au hasard de la conversation, Jean-Louis lâche mine de rien la pièce essentielle qu’il vous manquait.
On apprend alors, en vrac, qu’il est né à Paris et a vécu dans le 18e arrondissement « dans l’ancienne chambre d’étudiant de mon père de 9 mètres carrés où nous étions cinq avec ma famille ». Pas de commentaires supplémentaires. Juste un « et maintenant je vis seul dans cinq fois plus grand ». Le père a alterné différents jobs « de biffin au marché aux puces, il a fini avec une petite boutique ». Il a été prof aussi, « de marketing ou commerce pour adulte, je ne sais plus trop ». La mère, elle, était aide-comptable en fin de carrière. Vers l’âge de deux ans, Jean-Louis part vivre un an au Cameroun chez ses grands-parents. Quand il revient, il baragouine le patois local et aussi quelques mots de russe appris, on ne sait comment, par son grand-père. Puis, c’est le blocage psychologique. Un jour, il lance à sa mère : « On est en France, on parle français », sans savoir l’expliquer. « Depuis j’ai arrêté de parler toutes ces langues ».
À l’école, Jean-Louis fait ses choix d’orientation « par négation ». Comprendre, se diriger vers une filière pour éviter les matières qu’il n’aime pas. Une première STI électronique donc, pour éviter les cours de mécanique. Le reste, ensuite, relève plus d’un enchaînement de circonstances.
« J’allais à l’école pour aller à l’école, c’était là, c’était pratique. Donc j’ai continué en BTS électronique. On savait aussi que pour avoir un métier plus intéressant, il valait mieux continuer. »
En BTS, le jeune ne brille pas vraiment. En première année, il finit avant-dernier et redouble. « Je ne le vis pas forcément bien, mais je suis assez pragmatique donc je passe à autre chose. » Deuxième première année : il finit avant-dernier encore. Sur son bulletin, ses professeurs écrivent désabusés : « admis en deuxième année, faute de mieux ». Malgré tout, son professeur principal lui fait miroiter d’autres opportunités : celles d’intégrer une prépa ATS, de pousser dans les études et, pourquoi pas, de devenir ingénieur. « L’idée de faire quelque chose d’autre, de viser du concret, ça m’a remotivé et j’ai fini deuxième de mon BTS. »
Fin du BTS, Jean-Louis rencontre Article 1.
« Mon mentor, via sa démarche, m’a redonné confiance en l’avenir. Il m’a fait venir dans son entreprise et découvrir différents métiers . C’est là que je me suis dit que je voulais devenir ingénieur télécom. »
En 2008, après une prépa ATS, Jean-Louis intègre ESIEE Paris. Et cette même année, il devient bénévole pour Solidarité Sida. « J’y suis allé comme ça pour suivre un pote ». Un copain qui ne viendra finalement jamais. Jean-Louis est maintenant dans l’association depuis neuf ans.
« Je suis désormais coordinateur bénévole de l’espace camping pendant le festival Solidays, je gère 8 chefs d’équipes et 200 bénévoles », détaille-t-il fièrement.
Il y a deux ans, sa boîte, Numéricable, se fait racheter par SFR. Deux postes d’ingénieur dans les télécommunications lui sont proposés. L’un à Saint-Denis, l’autre à Aix-en-Provence. « Saint-Denis, pas à la Réunion hein, précise-t-il narquois. Le choix était vite fait. » Envie d’aventure, il débarque à Aix-en-Provence avec tout ce qu’il possède: une télé et un canapé. « Avoir plein de meubles, pleins de choses, ça ne me parle pas forcément. Quand j’ai un peu d’argent, je préfère voyager et aller voir des amis. Je dis souvent que je suis chez moi auprès de mes amis. »
Quitter Paris pour le sud. L’un des plus grands challenges de sa vie. « Mais, j’aime être dans l’inconfort, tout remettre en question, apprendre de nouvelles choses. » Gamin, Jean-Louis s’est construit sur ce qu’il appelait ses handicaps : « À l’époque, je disais que j’en avais trois: être noir, bègue et handicapé ». Bègue parce qu’il parlait vite et n’articulait pas beaucoup. Handicapé parce qu’il est né avec les jambes arquées. « J’avais les jambes comme ça », mime-t-il alors les bras en demi-cercle. Il se fait opérer à l’âge de 14 ans, passe six mois en fauteuil et en centre de rééducation. Et noir donc. « Une fois, je suis rentré de l’école maternelle en pleurant et j’ai dit à ma mère ‘maman je suis noir’, parce que je n’avais pas vraiment réalisé. Elle m’a regardé et m’a répondu ‘oui tu es noir’. » Une couleur de peau qui renvoie, explique-t-il, à de nombreux préjugés. « Quand tu as certaines caractéristiques physiques, on va te ranger dans une catégorie avant même que tu aies pu ouvrir la bouche. Tu es noir: tu dois savoir danser, jouer de la musique, être sportif, te cantonner à tel métier… »
Jean-Louis s’est alors blindé derrière ses contrariétés. « Ça a forgé mon caractère, je pense. Je suis plutôt confiant en l’avenir », ajoute-t-il sereinement. À Aix-en-Provence, il a trouvé son équilibre.
« Je gagne peut être moins qu’à Paris, mais je suis heureux, ça me suffit. Je ne vis pas uniquement pour travailler, j’aime aussi profiter de mon entourage et être là pour mes amis. »
Du coup, Jean-Louis est plutôt du genre imperturbable. Dans sa vie personnelle comme dans sa vie professionnelle. « Placide, lance-t-il après une courte réflexion. C’est un mot qui me plaît bien pour me décrire oui. Placide. »
*** Par Magali Sennane @MagSenn & Gwel Photo ***