Sans vraiment le réaliser, Joana quitte, dès la fin du collège, son 17e arrondissement de Paris pour intégrer les parcours d’excellence. Une ascension scolaire fulgurante parfois difficile à assurer.
C’est un tout petit bout de femme qui se pointe ce jour-là. Joana, à peine 19 ans. Pas encore tout à fait une adulte et pas une ado non plus. Un « entre-deux » qui va avec son lot de doutes, de passions et de rêves. Pas un poil timide, Joana se livre sereinement, sans se la raconter. Au contraire, elle passe très vite sur ses années d’excellence au collège – 19 de moyenne générale, plein d’amis, pas de difficultés – pour en arriver à ses années noires.
« Au lycée, j’ai eu l’impression que tout ce qu’on m’avait dit avant, les compliments qu’on m’avait faits, tout était faux. Qu’on m’avait menti sur mon intelligence, car je ne réussissais plus du tout. »
Puis, Joana lâche mine de rien : « En fait, j’étais au lycée Louis-le-Grand, je ne sais pas si ça change quelque chose… ». Pour comprendre, Louis-le-Grand est l’un des lycées les plus prestigieux de France. Connu, notamment, pour sélectionner strictement ses élèves sur la qualité du dossier scolaire. Joana parle alors de traumatisme.
« Je me suis rendue compte que je manquais de culture générale par rapport aux autres élèves. Je me disais que j’avais une intelligence superficielle, que je ne savais pas aller en profondeur sur un sujet. Comme si j’étais un imposteur. »
Pourtant, atterrir à Louis-le-Grand semble n’avoir été qu’une formalité. En troisième, Joana pense que la vie s’arrête après le bac et qu’elle ira dans son lycée de secteur dans le 17e arrondissement de Paris. C’est un ami de la famille, dont le fils était à Louis-le-Grand, qui suggère l’idée. Elle y postule, ainsi qu’à Henri IV. Les deux l’acceptent.
Peu après la rentrée, elle cumule les notes en dessous de la moyenne. Une première. Sans tressaillir, elle révèle: « Pendant des mois, j’ai pleuré tous les soirs ». Chaque jour, en chemin, elle bloque devant la pente qui mène au lycée. Face à elle, l’angoisse qui monte : « Je n’arrivais plus à respirer. Pour la première fois de ma vie, je ne voulais plus aller à l’école, ça n’allait pas du tout, je n’aimais pas ce que je vivais ».
Après le choc, c’est l’acceptation. Un peu trop, selon elle. « J’ai commencé à m’habituer aux mauvaises notes, mais sans forcément me remotiver ». En clair, elle se concentre sur les matières qui lui rapportent des points comme les langues. Les maths, qu’elle adorait, elle laisse tomber. Avec une sincérité déconcertante, elle avoue ne pas comprendre l’origine du problème : « On me disait que je me mettais trop de pression, mais est-ce seulement ça ? Je ne sais pas… » En fait, d’un point de vue extérieur, ses notes ne sont pas si dramatiques. Son bac S, elle l’obtient d’ailleurs avec une mention assez bien.
Toute jeune, Joana rêvait « d’être quelqu’un ». Sans savoir vraiment le définir, elle parle de devenir quelqu’un d’important, une personne clé. À deux ans et demi, elle quitte le Bénin avec son frère et sa mère après le décès du père. Aujourd’hui, la maman est mère au foyer et le beau-père agent de sécurité, « un métier qu’il n’a pas forcément choisi ». Consciente des efforts de chacun, elle sait alors que, plus tard, elle veut réussir professionnellement.
Aussi, vers 12 ans, Joana se voyait bien chanteuse ou actrice. Des « jobs passions » avoue-t-elle, qu’elle n’a pas totalement mis de côté. Parfois encore, elle compose quelques morceaux. Surtout pour exprimer ce qu’elle ressent. Se mettre dans la peau d’un personnage, comprendre ses émotions, ça aussi elle adore : « Si un jour, j’ai l’occasion de faire un court-métrage, je ne dirai pas non ».
Au lycée, elle crée sa chaîne YouTube. Elle s’adresse aux ados pour qu’ils puissent, dit-elle, aimer la vie. Elle y parle de sujets comme l’école ou la famille : « Je voulais montrer que, quoi qu’il arrive, la vie est belle. Rappeler ces petites choses de la vie courante qu’on prend pour acquises et dont on oublie qu’elles sont magnifiques ». Elle a fini par arrêter par manque de temps, mais assure qu’elle s’y remettra lorsqu’elle sera en école.
Septembre 2017, Joana entame sa deuxième année de prépa ECS (économique et commercial, option scientifique) au lycée Carnot. La première année ? « Horrible », répond-elle. Elle est passée de justesse à cause des maths et de la géopolitique. « J’ai écrit une lettre à mes professeurs pour défendre ma cause et je me suis rendue compte à quel point j’avais envie de continuer. » Alors, elle a passé l’été à reprendre ses cours depuis le début. « L’année dernière, j’ai vu, envieuse, une fille avec un tee-shirt ‘admissible à HEC’. Désormais, j’en ai marre de me dire ‘si seulement j’étais cette personne-là’, parce que je sais que je peux l’être. C’est à ma portée, ça serait dommage que je passe à côté. »
*** Par Magali Sennane @MagSenn & Gwel Photo ***