Née au Cameroun dans un environnement où le collectif surplombe l’individu, Marcelle s’est peu à peu révélée à l’entrepreneuriat grâce à des professeurs enthousiastes et des associations bienveillantes. À 24 ans, la jeune femme diplômée de Kedge Business School s’apprête à croquer la vie professionnelle avec une première expérience à l’étranger avant de monter son entreprise !
On peine à croire qu’elle fut longtemps timide, Marcelle.
A peine s’était-on éclipsé de l’interview deux minutes pour téléphoner qu’on la retrouve en pleine discussion avec ses voisines de café, inconnues un instant auparavant et avec qui elle rigole alternativement en français et en allemand. En la voyant sourire à l’infini, on songe à l’éclosion complète de la chrysalide et on attend impatient l’envol du papillon diplômé dans quelques mois. Il n’en fut pas toujours ainsi, donc.
Il y a vingt-quatre ans, lorsqu’elle naît à Nanga-Eboko, les rêves de carrières et de créations étaient certainement plus étriqués. Elevée par sa grand-mère avec des cousins et cousines, Marcelle reste au Cameroun jusqu’à ses 9 ans, âge auquel sa mère parvient à la faire venir en France, où elle avait émigré pour travailler. Elle arrive à Bordeaux et vit avec sa mère et son mari, mais la vie à trois ne dure qu’un temps, et au bout d’un an, c’est la séparation parentale. S’ensuit une vie compliquée où Marcelle et sa mère vivent en chambre individuelle (2 mois) puis en appartement relais (6 mois), trouvés grâce au concours de l’APAFED, une structure associative qui vient en aide aux femmes isolées. Si la suite sera plus simple administrativement et en termes de logement, la réalité économique du foyer sera toujours tempétueuse et il faudra de la bienveillance de la part du directeur de l’établissement catholique où elle suit ses études pour qu’elle aille jusqu’au bac sans encombre et sans payer la totalité des frais de scolarité.
“Il disait avoir besoin d’élèves “comme moi”, c’est-à-dire méritants. Je n’aime pas le mot « défavorisé », que je trouve stigmatisant, mais c’est vrai que la situation économique était très contrainte pour ma mère et moi”
Les seuls nuages furent donc matériels, car tous les bulletins de Marcelle étaient excellents sauf en maths où “ça pêchait ! J’ai lu que les élèves mauvais en maths souffraient d’une absence paternelle. C’est sans doute faux mais je l’ai pris comme prétexte pour ne pas travailler et m’affirmer comme littéraire”, s’amuse-t-elle. Des rumeurs lycéennes expliquent que les filières littéraires sont une mauvaise voie, mais Marcelle les ignore pour mieux assouvir sa soif de savoir littéraire. Et son professeur de littérature, M. Mercier-Lachapelle évoque justement la CPGE dont elle n’avait jamais entendu parler et pour laquelle elle a le profil. Acceptée à la consternation de sa mère qui note qu’elle reste au lycée et n’entre pas à l’université. Ce fut une grande fierté que d’être admise en hypokhâgne, mais elle fut rattrapée par la peur du vide avant d’aller en khâgne :
“J’ai compris que je n’aurais pas Normale Sup et soudain, l’avenir est devenu menaçant professionnellement. J’ai préféré partir pour me réorienter “
Le déclic La Manu
Retour à la fac, donc. Direction AES, une filière dont elle dit en rigolant “qu’elle n’a aucune légitimité, les juristes nous regardent de haut et les économistes aussi. Nous sommes entre deux mondes et moqués les deux fois. Ça apprend l’humilité !”
Toujours inquiétée par le flou de son avenir professionnel, Marcelle se rend à une réunion d’information de l’association La Manu. Révélation :
“j’ai compris que les entreprises allaient puiser dans le vivier des grandes écoles mais pas assez dans les universités. J’ai trouvé cela foncièrement injuste et voulu faire du prosélytisme pour ma filière. J’ai pris le micro dans les amphis et réalisé que je pouvais avoir un impact. Que je pouvais m’affirmer et aider les autres !”
A force de défendre sa filière avec abnégation, Marcelle se renseigne sur la réalité professionnelle et envisage un avenir dans les RH, voire la chasse de têtes. Après avoir rencontré une chasseuse, elle réalise qu’il lui manque une brique scolaire et qu’il faut viser une école de management. Cela prendra un an par faute d’autocensure : “j’ai passé le concours Passerelle 2 qui m’était ouvert gratuitement en tant que boursière, mais j’ai paniqué devant le prix des écoles. C’était aussi un moyen de m’évaluer, savoir quel était mon niveau dans ces concours, savoir si j’y avais ma place. Je suis retournée en 3ème année d’AES et là j’ai tenté le concours Passerelle 2 et Tremplin 2 et cette fois j’ai oublié mes inhibitions et suis entrée en Master 1 à Kedge Business School à Marseille”
La communauté de destins à réussir
Arrivée dans cette nouvelle ville où elle ne connaît personne, un mail d’Article 1 attire son attention, l’association proposant de “construire un réseau”. Elle met du temps avant d’y répondre malgré tout, et s’inscrit pour du tutorat, mais plus aucun tuteur n’est disponible. Déception. Mais Article 1 a plus d’un tour dans son sac et lui propose du mentoring avec un Indien. Bingo !
“On se skypait beaucoup, il m’a décomplexée sur mon expression en anglais et dans les langues en général (Marcelle parle également anglais, allemand et espagnol et s’est mise au russe par curiosité!) m’a aidée sur mon projet professionnel, c’était super. Du coup, j’ai regardé Article1 différemment, je suis allée à Paris pour écouter la réunion annuelle de 2013 où des jeunes sont venues raconter leurs parcours qui donnaient vraiment envie.”
Session de travail pendant le WE Different leaders 2015
Aussi, quand Bolewa Sabourin lui adresse un mail pour lui proposer d’intégrer la CORPA, elle répond dans la minute et ne regrette pas son empressement : “nous sommes 22 avec des destins communs, on se connaît, nous échangeons. Ces rencontres me poussent pour aller plus loin et m’affirmer encore davantage”
En quête d’autonomie
Le collectif au sein d’Article 1, elle aime. Dans le sport aussi : après avoir été gardienne de handball et fait partie d’équipes d’athlétisme, elle pratique aujourd’hui le football et des cours de zumba en groupe. Mais plus question pour autant de laisser le collectif estomper l’affirmation d’elle-même : la vertu cardinale qui la guide et la pousse, c’est l’autonomie. Pour elle comme son entourage. Elle d’abord, qui entend devenir entrepreneure pour se prouver qu’elle peut tout atteindre :
“Aujourd’hui, je suis une des sept cofondatrices de Infinity Space (une entreprise avec des activités de e-commerce aujourd’hui et qui a vocation à l’avenir à répandre l’utilisation des nouvelles technologies dans les pays émergents), donc je suis déjà entrepreneure, mais cela ne part pas de moi. Ça n’est pas narcissique, mais j’ai besoin de sentir que je suis à l’origine d’un projet pour vraiment me réaliser. Pour l’heure, j’ai des idées, mais ne sais pas encore dans quelle direction partir et puis je veux d’abord vivre une expérience à l’étranger, me forger. J’aime le terrain, la rencontre avec d’autres cultures. J’ai vraiment soif de découvertes.”
Ce sera sans doute un VIE en Afrique, pour continuer à vivre pleinement sa double culture à laquelle elle est très attachée et qu’elle décline jusque dans sa cuisine : “même si c’est parfois plus dur de trouver tous les ingrédients en Allemagne ! Je suis tous les débats identitaires actuels en France et regarde avec circonspection l’idée qu’il faudrait choisir l’une ou l’autre des cultures : c’est beaucoup plus riche avec deux. Culturellement, je me sens de façon égale française et camerounaise.”
Et c’est justement vers le Cameroun et les siens que se projette son aspiration à l’autonomie pour les autres : “J’échange beaucoup avec mes cousins et mes cousines mais, surtout je les invite à se renseigner, à lire la presse, toujours être en éveil, pour que nos échanges soient construits. Il ne faut pas trop se fier aux “on-dit” et parler de tout sans matière. Je leur explique que l’information amène l’autonomie et je voudrais qu’ils le comprennent aussi, sinon les propos restent de l’huile sur de l’eau !” Si ce discours sur l’autonomie revient aussi souvent, c’est qu’elle trouve que la culture camerounaise n’y incite pas assez :
“Là-bas le collectif prime toujours sur l’individu et, si cela présente certains avantages en termes de solidarité, je ne peux m’empêcher de voir tout le potentiel entrepreneurial qui nous échappe et ça me navre. Il faut s’émanciper de la société, de sa famille, tout en gardant ses valeurs. Arrêter de trop se reposer sur les parents, les aînés, en pensant que la motivation viendra des autres. Il faut oser essayer, créer, se tromper et réessayer. J’espère que cela changera bientôt.”
Les nouvelles technologies et leur gratuité amènent un afflux d’ouverture sur des cultures plus tournées vers l’individu qui pourraient agir en ce sens et espérons-le, au profit d’un développement économique responsable. Quelle que soit l’entreprise qu’elle créera, Marcelle sait qu’elle agira dans cette voie : réduire les inégalités, en France et en Afrique.
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Texte de Vincent Edin