On a parlé égalité des chances, politique et banlieue avec le plus connecté des Different Leaders.
« J’ai grandi dans le 93 avec des blancs, arabes, noirs, indiens, juifs… Tous mes frères. Le racisme on l’a découvert à la télé. » Le tweet est épinglé en haut de son profil. C’était le 9 janvier 2016. Résultat : 7 000 retweets, 2 800 likes et une trentaine de commentaires échauffés. Depuis qu’il tweet, Matthieu a pris le pli. Qu’on soit d’accord ou pas avec lui, il balance sans complexe ses opinions sur les réseaux. On lui avoue même : à se balader sur son fil d’actualité, on s’attendait à rencontrer un mec assez vindicatif. Il rigole : « Ah ouais ? C’est vrai que quand quelque chose m’exaspère, je peux avoir tendance à m’énerver. J’avoue que beaucoup de choses m’exaspèrent aussi ! » Et, à dire vrai, une fois en face, Matthieu est plutôt le genre de gars qu’on rentrerait dans la case des bienveillants, plutôt que des hargneux.
Des tweets, il en a posté des milliers. Des drôles, des pugnaces, des engagés… En fait, Matthieu cherche à faire réfléchir. Il parle souvent d’actu et fait des liens avec l’histoire, sa passion. Ça a commencé gamin, avec un jeu sur les civilisations, Age of empire, offert par son père. Depuis il dévore les époques sans restriction. Avec quelques préférences quand même : « l’histoire de Paris avec la Commune ou la colonisation de l’Afrique, par exemple ».
En quelques années Matthieu a reçu pas mal de messages d’encouragement. Des jeunes surtout qui le remercient d’avoir éveillé leur curiosité. « La première fois que j’ai reçu un message comme ça, j’étais surpris. Puis, je me suis dit ok si ça fait kiffer, je continue. C’est bien de pouvoir partager ses connaissances, il y a même des gens qui rebondissent et tu apprends en retour. » Parfois, c’est aussi l’inverse :
« La moindre remarque sur une communauté et tu peux être sûr que les critiques arrivent par vagues. Le communautarisme, ça m’énerve. Ma mère est blanche, mon père est antillais et je n’ai jamais regardé le monde via la couleur des gens.»
À force, Matthieu s’est fait remarquer. En 2017, un parti politique lui a proposé de l’inscrire sur sa liste des législatives d’une circonscription de Paris. Il a hésité, puis refusé. L’idée ne lui déplaisait pas totalement, mais l’envers du décor en politique oui. « Si le système était parfait, j’y serais allé. Mais je sais que c’est un peu pourri, vermoulu… ça m’a refroidi. » Au lycée, il avait envisagé pendant un instant d’étudier les sciences politiques. Le temps que ses professeurs lui conseillent vivement d’oublier le projet. « On m’a dit que tout ce qui touchait au rédactionnel, ce n’était pas fait pour moi ».
Son parcours, il le résume maintenant telle une punchline : « Double redoublant ZEP, devenu ingénieur ». Pas mal pour celui qui cumulait les avertissements en classes pour mauvais comportement : « Je n’avais aucune motivation parce que je ne savais pas ce que je voulais faire plus tard », reconnaît-il.
Le jour où il est devenu ingénieur, il a fait un petit montage photo pour rappeler d’où il vient. On le voit poser, petit sourire en coin, en tenu de diplômé à l’américaine, robe et chapeau noirs et blancs. Et, juste à côté, le commentaire d’un ancien professeur : « Une attitude déplorable et un manque de travail qui pèsent sur les résultats. Un bilan très insuffisant. Vous régressez, c’est très inquiétant. Vous n’avez pas votre place en terminale. » Voilà.
Avec deux redoublements, il passera cinq ans au lycée. Puis, il se trouve une première vocation : devenir mécanicien pour avions. Lorsqu’il se pointe en CFA, on lui répond qu’avec son bac S, il est trop qualifié. On lui conseille un DEUST en maintenance aéronautique à la fac d’Évry. « J’habitais à Aulnay-Sous-Bois, c’était 2h00 de trajet le matin, pareil le soir ». En stage de deuxième année, il découvre par hasard le métier d’ingénieur. Ça lui plaît, il veut s’inscrire en licence 3 génie des systèmes industriels en aéronautique à Évry. Ses notes sont bonnes, il négocie, on lui accorde.
Emballé, Matthieu veut alors pousser jusqu’en master. Il postule à l’École Polytechnique Féminine, « qui est maintenant mixte », précise-t-il aussitôt. Il débarque en 4e année d’école d’ingénieur : « On me disait que j’allais galérer, car le niveau était plus élevé qu’à la fac ». Sauf qu’en fait, en travaux pratiques lui et ses camarades de fac ont de l’avance. « Contrairement à ceux qui venaient de l’école, on avait mis les mains dans le cambouis, les avions on les connaissait, on en réparait déjà ».
Il y a trois ans, il est rentré chez Air France : « Je vends la maintenance des avions à des compagnies aériennes qui n’ont pas les outils, les compétences ou les hangars », explique-t-il. En arrivant sur le marché du travail, quelque chose l’a frappé :
« Je me suis rendu compte que j’étais l’un des rares ingénieurs du 9-3. Qu’en fait, j’étais presque un accident, l’expérience qui a bien tourné ».
Il s’engage pour l’égalité des chances et rejoint les Different Leaders d’Article 1. Avec une vision bien précise de la chose.
« Je veux parler aux jeunes de collèges ou lycées, à qui on ne laisse pas beaucoup d’horizons. Leur dire qu’ils peuvent tout faire, qu’il ne faut rien s’interdire, même s’ils ont l’impression que ça n’est pas pour eux. On a toujours été des jeunes qui se débrouillent, donc même dans les études c’est possible. Si on nous ferme la porte, on pourra toujours passer par la fenêtre.»
On a lancé Matthieu sur le sujet de la réussite et il a été intarissable.
« Si c’est juste pour intégrer la société au plus haut niveau et reproduire les mêmes inégalités sans pour autant vouloir la changer, je ne vois pas l’intérêt » finit-il par lâcher.
Il se rappelle alors une citation qui l’a marqué. Une phrase de Saint-Exupéry qui disait: « Nous n’héritons pas de la terre de nos parents, nous l’empruntons à nos enfants. » Et, comme chaque fois qu’il évoque un sujet qui lui importe, Matthieu se donne une petite tape, rapide, de la main droite sur le cœur.
*** Par Magali Sennane @MagSenn & Gwel Photo ***