Championne de la négociation, à 28 ans, la jeune femme volubile a su mener sa barque pour atteindre ses premiers objectifs.
Elle débite Raïssa. Prenez un journaliste sportif commentant un but sur le point d’être marqué. On y est presque. L’intonation en moins. « Je ne sais pas d’où ça vient, avoue-t-elle en rigolant. Je m’en suis vraiment rendu compte lors de mes oraux pour les grandes écoles ! » On aurait pu croire que, petite, elle avait dû batailler pour en placer une face à un frère ou une sœur plus loquace. Même pas : elle est fille unique. Élevée seule par sa mère, venue du Cameroun.
Jusqu’à ses 13 ans, raconte-t-elle à demi-mot, mère et fille déménagent régulièrement. Passant du 19e arrondissement de Paris, à Nanterre, puis Aubervilliers, pour atterrir définitivement à Courbevoie.
« Ma mère n’avait pas forcément fait des études, ni de ressources ou de gens sur qui compter en France. Mais elle s’est débrouillée. Elle voulait prouver que, même seule, elle allait bien élever sa fille et la pousser le plus loin possible. »
Après le bac, Raïssa débarque pleine d’appréhensions en prépa éco dans le 16e arrondissement de Paris. Blindée, limite fermée. Elle s’imagine un monde peuplé de fils à papa animés par une compétition accrue et prêts à écraser les gens sur leur passage. « J’avais un peu exagéré, mais j’étais tellement intimidée ». Raïssa n’a pas tort sur tous les points et nourrit un petit complexe d’infériorité. L’argent déjà creuse l’écart. Une fois, une camarade lui raconte avoir claqué 300 euros dans un jean. Moi, avec cette somme je refais ma garde-robe, pense-t-elle. Avant de conclure : on n’avait pas les mêmes vies…
Son plus grand complexe reste la culture et les fameuses activités extrascolaires tant valorisées. « Quand je préparais mes oraux, la question qui me terrorisait était celle sur les passe-temps. Les autres pouvaient dire qu’ils avaient fait 10 ans de théâtre ou commencé le piano à 4 ans par exemple. » À cela s’ajoutent les commentaires parfois désobligeants de certains camarades : « Tu ne connais pas untel, mais c’est la base ! ». Raïssa réfléchit, puis lance :
« Au final, la culture des élites est la seule à être mise en avant, alors qu’il y a d’autres formes de cultures qu’on connaît lorsqu’on est issu de l’immigration, mais dont on semble moins se préoccuper. »
On pourrait penser à de l’amertume, mais en fait Raïssa a surtout l’impression de ne pas être à la hauteur, voire moins intéressante, et s’inquiète de ne jamais rattraper le niveau des autres. Sans compter le facteur stress lié au coût de la prépa payante. Elle sait que sa mère enchaîne les boulots en intérim pour qu’elle soit là. À chaque mauvaise note, c’est l’angoisse de se demander : « Et si je ne réussis pas ? »
Après la prépa Raïssa entre en école de commerce à l’ISC Paris. Débute alors une longue série de jobs étudiants pendant trois ans : animation en grande surface au rayon fruit exotique, enquêtes téléphoniques, service client, cours d’anglais, etc. Et un prêt aussi. Tant bien que mal elle s’en sort. « Mais, je suis quand même systématiquement en retard dans mes paiements. Je passais mon temps à négocier avec la comptabilité de l’école pour payer en plusieurs fois. J’ai même proposé de leur virer directement mes salaires ».
À force, le doute s’installe. Elle envisage de laisser tomber, de trouver une équivalence à la fac peut-être.
« J’ai eu un cette fierté en moi qui m’a poussée à me dire : accroche-toi, continue de chercher des boulots, de parler avec des personnes pour obtenir des informations qui pourront te faciliter la vie ».
Histoire de souffler un peu en Master 2, Raïssa choisit une spécialité en business et management international qui lui permettrait de réaliser son année en alternance. Raté, l’alternance est supprimée deux mois avant la rentrée. Négociation encore : Raïssa obtient de l’école de valider en tant que stage son boulot du moment chez Groupon pour travailler et payer ses frais de scolarité. Même talent de négociatrice lorsqu’il s’agit d’effectuer un stage à l’étranger. Elle propose à la place de faire valider son expérience à l’international par deux courts séjours à l’étranger réalisés auparavant et un bon score au TOIC.
« Souvent, je parle de montagnes russes émotionnelles quand je fais référence à mes années d’études ».
Quatre ans plus tard, à 28 ans, Raïssa en est déjà à son troisième emploi. Après l’école, c’est dans un cabinet de recrutement qu’elle fait ses armes. Loin d’être passionnée, elle enchaîne dans une autre boite comme consultante junior. Une partie des tâches la fascine : celles en lien avec le marketing digital. Raïssa est tiraillée entre l’envie de se lancer dans ce secteur et la raison. Doit-elle faire un nouveau master, une formation en alternance ? Elle repense à ses années de galère et la réponse est sans appel: non. Le compromis sera les cours du soir avec le Cnam et des mooc, des cours en ligne ouverts à tous.
Désormais chargée de marketing digital pour un courtier en assurance Raïssa est fière de s’être battue pour se reconvertir. Enfin débarrassée de son prêt étudiant, elle se lance déjà dans de nouveaux projets. Celui, notamment, de devenir propriétaire, d’ici un ou deux ans.
*** Par Magali Sennane & Gwel Photo***