Arrivé en France en 2004 sans parler un mot de la langue de Molière, Surjit se retrouve dix ans plus tard diplômé d’une école de commerce et aspirant au concours d’Orient. Persuadé que les jeunes des quartiers populaires peuvent tout, à condition d’avoir accès à l’information, il multiplie les engagements militants en ce sens et incite les décideurs français à s’ouvrir à la richesse de la multiculturalité.
« Je n’avais pas pensé qu’en France on parlait français. C’est une évidence, mais depuis le Penjab où je vivais, je n’y avais pas réfléchi. Alors, quand on a rejoint mon père, ça a été un vrai choc de me retrouver muet »
Un muet polyglotte, puisque Surjit, 26 ans aujourd’hui, parle six langues (hindi, punjabi et ourdou ainsi qu’anglais, espagnol et donc français) dont quatre depuis l’enfance. L’apprentissage est une seconde nature chez lui et c’est ce qui le sauve quand il débarque en France, en 2004, avec sa mère, son frère et sa sœur. Une arrivée dans le cadre d’un regroupement familial avec son père, réfugié pour raisons économiques en France depuis 1990. 14 ans plus tard, il a monté sa propre entreprise dans le secteur du BTP et peut accueillir sa famille. Surjit est fier de son père, mais n’entend pas travailler dans ce secteur (il fera plusieurs étés de suite, des travaux de peinture et carrelage) et attend donc de l’école qu’elle lui ouvre un éventail de métiers.
Première escale, le lycée professionnel Georges Brassens, à Villepinte où il débarque en classe d’accueil. « C’était comme dans le film, «la Cour de Babel»! J’adorais cela, en cinq mois j’avais l’impression d’avoir progressé et voulais faire une année supplémentaire pour rejoindre une seconde générale l’année suivante » Mais les ennuis avec l’orientation commencent là. Persuadé qu’il n’aura pas le niveau de la filière générale, son professeur l’oriente vers un CAP ventes. Surjt le vit très mal, il voit son avenir se rétrécir et se bat pour réintégrer la classe d’accueil.
« Je me suis fait aider pour écrire au proviseur de Georges Brassens; mon français était approximatif, mais il a décelé la motivation. Je lui ai dit que je redoublerai d’efforts pour apprendre et que le travail ne m’effrayait pas» On lui tend une perche, il la saisit. De 8h à 17h, c’est la classe d’accueil, de 18h à 20h les cours du soir de français, au Bourget. Ce rythme de stakhanoviste paye et, non content d’entrer en seconde, Surjit fonce vers le bac STG avec des notes de 16 et 14 aux épreuves de français.
Un choix d’orientation grâce au Financial Times
Lecteur assidu de la presse, Surjit s’imprègne des nouvelles anglo-saxonnes et c’est dans un article du Financial Times qu’il a la révélation sur le tournant qu’il doit donner à sa scolarité :
« ils disaient que toute l’élite française était recrutée à la sortie des Grandes Écoles que l’on intégrait à l’issue des classes préparatoires, je ne savais pas ce que c’était, mais il fallait qu’ils me prennent! »
Ce fut le cas et c’est là qu’il rencontre le programme mentorat d’Article 1, sous les traits d’Amélie Leguilloux sa tutrice d’Accenture qui vient à sa rencontre au lycée Turgot, à Paris. Surjit est brillant dans sa scolarité, travailleur (en plus d’aider son père, il travaille pendant un an au Mc Do) mais complètement ignorant des codes des entretiens professionnels. Amélie va le coacher « elle a dédramatisé les entretiens, m’a donné des trucs. J’ai enlevé ma boucle d’oreille qui pouvait choquer mes interlocuteurs. J’ai eu 20 à tous mes oraux donc oui, je peux dire que ça a marché ! »
Direction Reims et Neoma Business School, une école qu’il peut payer grâce à une Bourse d’Etat reçue pour ses résultats au bac. Dès la seconde année, la possibilité existe de faire sa scolarité en alternance (où l’entreprise assume les frais) et Surjit va à nouveau croiser la route d’Accenture. Amélie le met en contact avec Sébastien Bouyx qui le coache pour les examens et le tour est joué : deux années de contrat avec deux missions longues qui façonnent le goût du jeune homme pour le contact.
« Ma première mission (pour Bercy) m’a franchement déplu. Uniquement de la technique, quelque chose de très austère, c’était très frustrant. En revanche, lors de la seconde (pour la CDC), on m’a confié beaucoup de responsabilités en me laissant aller former des directeurs de caisses régionales un peu partout en France : autonomie, relationnel, adaptabilité, j’ai adoré ! J’ai fait un bon tour des choses, beaucoup appris car c’est structurant dans la méthode. Pour autant, je ne me vois pas continuer dans le conseil »
Le choix de la France
D’autres auraient sans doute essayé de poursuivre dans le conseil par confort, mais cette attitude convient peu à Surjit qui a tant de fois dû faire des choix délicats. Ainsi, à 20 ans, la constitution indienne ne permettant pas que l’on possède une double nationalité, il dut trancher de façon irréversible : « j’ai hésité un peu au départ, mais j’envisage mon avenir comme Français »
Après tout, c’est en équipe de France (junior) et pas d’Inde qu’il a brillé en volley avant qu’une série d’entorses et l’engagement de la prépa ne l’éloignent des terrains, sans regret là aussi. Par ailleurs, non content d’être étudiant à Neoma et à l’INALCO en parallèle, Surjit s’engage à fond.
En plus de Article 1, pour lequel il est devenu ambassadeur et va transmettre le flambeau à de jeunes lycéens en leur disant qu’ils peuvent tout accomplir s’ils ont de la volonté et savent saisir les bonnes opportunités, il s’engage à l’AFEV pour accompagner des étudiants en difficultés scolaires, mais ce n’est pas encore assez pour celui qui estime qu’il a beaucoup à rendre. En se renseignant sur la région de son école, il se dit que la démarche d’Article 1 serait utile. Il prend alors le taureau par les cornes et convainc ses camarades de promo:
« A Reims, nombre de jeunes sont fils d’agriculteurs et autres filières éducatives courtes. Ce n’est pas tant un problème social que de rapport aux études où votre milieu ne comprend pas l’intérêt des filières longues. Il y avait un vrai besoin de sensibiliser au lycée puis d’accompagner en prépa comme fait Article 1»
La première année, ils seront 7 tuteurs de Neoma à donner de leurs temps, la seconde 14 et pour la dernière année de Surjit (qui a mis en place un système de roulement chaque année pour coller aux besoins étudiants) l’ensemble étudiants plus tuteurs pro atteignait… 80 personnes ! « Pôle prépa de Prépa Rémois (le nom du programme) c’est vraiment ma grande fierté. En plus, on a réussi à faire comprendre à l’école l’intérêt de ces programmes et démarches d’égalité des chances et elle a entre-temps signé avec Article 1»Pour boucler la boucle de ses études, reste un dernier échange étudiant, dans le cadre de son diplôme à l’INALCO et à Neoma : direction Calcutta pour six mois. Une expérience qui lui permet de retrouver son pays natal, qui a beaucoup changé en dix ans.
« Mon premier plaisir fut de rattraper les clichés en allant voir le Taj Mahal que je ne connaissais pas! Ensuite, j’ai servi de « guide » aux étudiants avec qui j’étais et c’était un plaisir de montrer la richesse de cette société qui bouge beaucoup plus vite que ce que les médias montrent: derrière le boom économique, il y a une vraie mobilité de la société indienne, notamment sociale avec des personnes d’origines très modestes qui accèdent à de hautes responsabilités. Cela m’a motivé à bloc pour réussir à mon retour en France ! »
Le choix du 9-3
Réussir pleinement, ça serait être diplomate, mais il faut réussir le concours du quai d’Orsay dans quelques mois. A la portée de cet infatigable travailleur, inquiété seulement par l’épreuve de culture générale. Si ça ne fonctionne pas, il se voit bien prolonger ses envies d’engagement politique et de développement en entreprise. S’il regarde donc l’avenir avec une foultitude de possibles professionnels, il a plus de certitudes sur ce qui concerne son cadre de vie.
« Pour moi, tous nos problèmes partent comme je l’ai dit d’un déficit d’informations, mais aussi de représentations. Or, déserter le 93 sitôt que l’on a réussi, c’est renforcer l’idée que c’est une zone maudite, et que la seule chose raisonnable à faire c’est d’aller à Paris. En restant comme je suis depuis 8 ans, à Drancy ou au Bourget, je montrerai à ceux de ma communauté et j’espère plus largement que le 93 est une vraie terre d’opportunités. Dans la nouvelle économie, vous avez besoin de personnes capables de parler plusieurs langues, de cohabiter avec différentes cultures et de s’adapter à des changements fréquents, toutes choses que l’on retrouve chez des tas de jeunes qui grandissent en Seine-Saint-Denis: il faut les mettre en avant et leur dire qu’ils ont ce potentiel en eux! »
Entre sa première et sa seconde année, Surjit a fait son stage à New York, sa famille du Queens l’a accueilli. Il a envoyé 400 CV et passé une dizaine d’entretiens sur Skype. Une démarche payante puisqu’il a intégré une start-up spécialisée dans les applications pour réseaux sociaux. Ce fut sa première belle expérience, avec de grosses responsabilités qu’il hérita de son parcours de vie : «le premier jour, je suis venu en costume avant de le ranger, tout le monde était en short. Ils n’étaient pas focalisés là-dessus, ni sur mon diplôme d’ailleurs qu’ils ne connaissaient pas, mais plus sur ce qu’on pouvait apporter en termes de compétences. La boîte avait des développeurs en Inde et des relais au Maroc, il fallait parler hindi et français et les créateurs étaient sûrs d’avoir besoin de deux embauches. J’ai fait l’affaire à moi tout seul! »
De cette odyssée américaine, il conserve une certitude : l’ouverture culturelle permet beaucoup plus que ce que l’on donne à voir. Une vista qui lui donnera un coup d’avance pendant encore de nombreuses années.
Texte de Vincent Edin & Julie Boileau.