Yassine est arrivé en prépa en 2005 malgré lui, après avoir écouté des profs acharnés, qui croyaient en son mérite et ses capacités. Il y a trouvé des encadrants généreux et le soutien d’une association alors naissante, le Cercle Passeport Télécoms, avec un tuteur qui travaillait chez SFR. Dix ans plus tard, il est toujours dans cette entreprise, la seule qu’il ait connue et est également devenu Fellow d’Article 1 et depuis cette année, tuteur !
Comme Rimbaud, Yassine n’était pas sérieux quand il avait 17 ans. Comme tous les gosses, en fait. Si à Stains on dit qu’ils sont plus turbulents qu’ailleurs, c’est pour des raisons qui ne tiennent pas à eux. Un environnement moins apaisant, des parents moins sur leur dos (paraît-il), car moins conscients des enjeux scolaires et des profs qui n’ont pas les moyens de faire face. Lorsqu’il avait 17 ans, les bastons de rues existaient aussi, mais Yassine est passé à côté :
« Mes parents attendaient tous les trois mois le bulletin de classe. Même si je voulais faire le malin, j’étais attendu au tournant ! Et c’était plus fort que tout, donc quand je me suis retrouvé dans un lycée (Maurice Utrillo, à Stains) qui ne me permettait pas de travailler sérieusement à cause de l’ambiance, j’ai profité du jeu des options pour partir faire ma 1ère STI au lycée Paul Eluard de Saint-Denis, établissement que je n’ai plus quitté jusqu’à mon entrée en école d’ingénieur ».
Avant le lycée il y eut une naissance à Reims, une enfance à Paris et un aller-retour d’un an en Algérie où la famille de Yassine ne put rester à cause du climat politique. De retour en France, la famille a besoin d’espace et quitte Paris la bourgeoise pour Stains la populaire.
Poussé en prépa par ses profs
Retour à Paul Eluard. Après son bac STI, Yassine envisage logiquement des études courtes pour trouver un travail et l’autonomie financière qui va avec. Mais alors qu’il finit son BTS, une réunion d’information propose aux étudiants de découvrir une nouvelle association, Article 1, qui souhaite accompagner les élèves de classe prépa ATS de Paul Eluard entre autres à intégrer une école d’ingénieurs spécialisée dans les Télécoms. Refus catégorique de Yassine.
« Pour moi, les élèves de classe prépa n’avaient pas de vie. 40 heures de cours par semaine, plus du travail soir et week-end, ça ne me faisait pas rêver ! ».
Mais les professeurs de Yassine, Monsieur Chenguel en tête, font le forcing pour lui dire que c’est une opportunité à saisir et au pire, que cela ne dure qu’un an : il n’a pas grand-chose à perdre. Indécis sur son avenir professionnel, le jeune homme tente l’aventure.
Une cible d’école très très restreinte
Si votre enfant veut devenir ingénieur, spontanément, vous vous dites qu’il n’a qu’à passer tous les concours, et puis on verra bien ce qu’il tire de mieux. Pour Yassine, le choix s’est construit autrement :
« J’étais boursier échelon 5, le plus élevé. Je ne veux pas noircir le tableau, mais c’était vraiment compliqué financièrement donc déjà toutes les écoles loin de Paris, rayées ; je ne pouvais pas me payer le train de vie. Ensuite les écoles privées, je sais qu’on peut prendre un emprunt, mais quand tu viens de là où je suis né, tu n’envisages pas de te mettre volontairement 20 ou 30 000 euros de crédit pour tes études… Donc, bon j’avais fait mon tri et en gros, il y avait une école qui correspondait à mes critères, l’ENSEA , je la voulais absolument ! ».
Après avoir travaillé sans relâche pendant sa prépa (avec les mêmes trois copains, ils écumaient les bibliothèques le week-end), Yassine croit bien décrocher le Graal quand il est admissible mais il est malheureusement éliminé aux oraux… Une certaine déception pour lui et Philippe Billion son tuteur qui l’a suivi jusqu’à la fin de l’école.
« Ce n’est sûrement pas de sa faute ! Philippe m’a appris à travailler en groupe, m’a donné les codes des examens. J’étais déçu pour lui aussi, mais ça ne l’a pas traumatisé il a continué à faire beaucoup pour moi ».
Heureusement pour lui, il restait le plan B : l’école sur concours. Sup Galilée à Villetaneuse, une école d’ingénieur sur trois ans qui accepte son bon dossier. Ouf. Trois années où il va s’épanouir et prendre confiance en lui au point de finir avec un 18/20 au grand oral final. « Là encore Philippe a joué un rôle important en m’aidant à m’améliorer en anglais en m’ouvrant les portes du mentoring Alcatel qui m’ont permis de décrocher le TOEFL et la confiance qui va avec ».
SFR, encore SFR, toujours SFR !
À côté de l’école, il faut commencer à se professionnaliser et Philippe Billion se mobilise pour aider son filleul complètement dépourvu de réseau. Après un premier CDD d’été chez SFR, Yassine a un coup de foudre pour l’entreprise et y enchaîne tous ses stages jusqu’à celui de fin d’étude où il doit aller chez Sofrecom, du groupe Orange… Jusqu’à une relance de SFR avec de meilleures possibilités d’embauche à la clé (nous étions en 2009, en pleine crise) qu’il accepte, ce qui ne fut pas sans causer un incident diplomatique…
« Je fus convoqué par la direction de l’école qui s’étonnait de mon choix de planter une entreprise partenaire mais je leur ai expliqué que j’avais trouvé mon remplaçant et qu’en outre, les entreprises ne se gênaient pas pour choisir le meilleur candidat et que j’avais appliqué la même logique ! ».
Un choix payant puisque 2 mois après ce stage, il est rappelé par l’entreprise pour plusieurs missions d’intérim puis CDD puis un premier CDI en janvier 2010 en tant que sous-traitant chez SFR avant de rentrer Interne SFR en avril 2011 où il exerce toujours 4 ans plus tard en tant qu’Ingénieur Collecte Data. Des métiers techniques et exigeants, car il faut souvent être d’astreinte, le réseau télécoms ne connaissant pas les heures de bureau et pouvant bugger à tout moment. Des horaires décalés qui n’effraient pas le jeune homme, plutôt galvanisé à l’idée de venir en aide à ses collègues dépassés par ce genre d’avarie.
« Je dors parfois avec deux téléphones à mes côtés, un SFR et le back up au cas où le réseau planterait. J’aime cette adrénaline, ce côté « pompier du réseau ».
Redonner, déjà.
Pas encore trentenaire, Yassine ne fait pas de plan de carrière. La vie lui a appris la prudence en la matière et les très fortes évolutions du marché des télécoms de ces dernières années lui font dire que la probabilité qu’il reste encore 35 ans chez SFR n’est pas dominante. Peu lui importe, il se sent bien dans l’entreprise et maintenant que les choses sont plus claires pour lui, il a postulé pour être tuteur chez Article 1, à 29 ans seulement. Une décision qu’il ne juge en rien précoce, lui qui ne s’est jamais éloigné de l’association :
« Pour moi, Article 1 c’est très important. Ce dispositif m’a boosté, accompagné et construit. Je sais ce que je leur dois, mais au-delà de ma personne je vois comment leur venue a fait du bien au lycée Paul Eluard qui y voyait un nouvel outil à proposer à des étudiants méritants, une garantie de réussite ce qui est assez dingue. Dès mon école d’ingénieurs, je leur ai fait savoir que je serais dispo pour aller témoigner auprès d’autres lycéens. En 2014, ils m’ont promu Fellow. Je ne voulais pas m’en contenter et voulais devenir tuteur, c’est le cas depuis septembre dernier et ça se passe hyper bien ».
Pour que la boucle soit bouclée, il fallait revenir au lycée Paul Eluard et c’est là que Yassine a découvert Weedens, son filleul. Un élève très bien classé qui file vers son école d’audiovisuel mais demande tout de même beaucoup de conseils de réussite
« je suis passé par là, même lycée, même appréhension face aux concours, à l’après. Quand tu es dans un grand lycée parisien, tout le monde a des références sur les grandes écoles, ici ça fait plus défaut et je sens que je l’aide en lui balisant le chemin: je sais qu’il va réussir. Il a vachement de talent et fait déjà les montages vidéo de PES (un jeu vidéo de foot très prisé), il pourrait être en CDI chez Konami quand il veut ! ».
Au-delà de son nouveau filleul, Yassine donne surtout tout à sa petite fille. Il promet de veiller sur son éducation, pas tant pour venger son père en ayant l’ENSEA, que pour qu’elle ne manque de rien plus tard. Un confort matériel dont il fut privé pendant l’enfance et qui a pris fin avec son premier salaire d’ingénieur :
« je me souviens de plaintes de copains du lycée qui se lamentaient de ne pas avoir le dernier sac à la mode ou tel article quand je peinais à avoir juste un sac qui ne craque pas. Cela m’a marqué et lors des discussions avec les profs ou mon tuteur par exemple, j’ai compris que réussir ses études c’était tourner le dos à cette précarité matérielle. Désormais quand j’ai envie de quelque chose, je l’achète. Et j’offrirai à ma fille ce qu’elle veut ».
D’aucuns y liraient une attitude très consumériste, mais parce qu’ils peuvent s’offrir le luxe de ne pas consommer le superflu, ayant déjà tout l’essentiel. Yassine sait trop ce que l’inégalité des chances veut dire pour ne pas bouder son plaisir, maintenant qu’il a rattrapé ceux qui étaient partis loin devant lui dès la naissance.
Texte de Vincent Edin & Photo de Julie Boileau