Chérif

Perpignan

"Réussir n’est pas une affaire individuelle. C’est agir pour le bien commun. Avoir de l’impact."

Je suis né en 1989 à Perpignan de parents algériens. J’ai grandi seul avec mon père. Très vite, mes parents se sont séparés. La différence d’âge entre eux (plus de 20 ans), leur culture, leurs tempéraments ne leur ont jamais permis de bien s’accorder. Ma mère a déménagé, elle est devenue femme de ménage. Elle a eu d’autres enfants, mes deux frères, et ma sœur. Nous sommes toujours restés en contact, mais à distance. Aujourd’hui encore quand nous nous voyons, les mots viennent difficilement.

J’ai en revanche toujours été proche de mon père. Quand je suis né, il avait 58 ans. Il était particulièrement affecté par certaines épreuves de sa vie. Il ne m’a jamais raconté les circonstances précises de son départ d’Algérie, mais je crois qu’il a fui la misère et la violence. Sa première femme est décédée. Il a d’abord exercé le métier de peintre avant de rejoindre l’armée. Ses préoccupations pour moi étaient des plus simples : que je sois en sécurité, que je mange bien et que j’acquiers un bagage scolaire rudimentaire. Il était très présent. Je n’ai jamais manqué de son amour. Il veillait sur moi, m’emmenait en vacances  à l’étranger.

Très vite, l’âge s’est fait sentir pour mon père. Dès mes 13 ans (il avait déjà plus de 70 ans), j’ai commencé à m’occuper de certaines activités d’ »adultes ». À l’école, je suis un élève très studieux. Pourquoi ? Je ne sais pas. Mais je m’applique à travailler. Nous allons peu au cinéma, nous avons peu d’amis. Je ne pratique pas de sport en particulier. Je grandis avec un sentiment d’infériorité, mon père me dit souvent que « les autres savent mieux que nous ». Je n’apprends pas à réfléchir par moi-même, mais j’étudie, j’ingurgite.

La passion des avions

C’est au collège Jean Macé de Perpignan que naît ma passion pour l’aéronautique. C’est à ce moment-là que je décide de devenir pilote. Ce souhait me sert de ligne directrice pendant mes études. Dans la vie, je m’autorise peu de rêves, mais je crois vraiment en celui-ci.

J’ai mon bac S haut la main, mais en classe préparatoire, cela devient difficile. Je n’ai pas les clés. J’échoue au concours de pilote et je ne peux avoir une seconde chance. Mon père ne comprend pas mon ambition ni mon souhait de poursuivre mes études. Il souhaite que je trouve vite un emploi stable. Selon lui, ce monde des études supérieures ne sera jamais pour moi. Selon lui, il faut être « le fils de quelqu’un » pour y trouver sa place.

C’est dur, j’éprouve une profonde douleur. À 20 ans, je quitte Perpignan pour Paris où j’intègre une école d’ingénieur. Pourquoi j’y suis ? Je ne sais pas très bien. J’ai suivi la voie classique. Je suis là, je réussis mon cursus. Mais quelque chose ne va pas. Je suis seul, je ne me sens pas à ma place.

Je comprends que je ne peux continuer ainsi. Comme une envie de ne pas subir mon temps de vie. Je ressens le besoin de m’initier à ce dont je n’ai jamais eu accès à ce jour. Je veux observer, comprendre, toucher, tester, échanger. Je veux découvrir une activité qui me permettrait de vivre de ce que j’aime faire, de ce pour quoi je suis compétent, avec le sentiment d’être utile. Pourtant, je n’ose pas véritablement me lancer. Je ne sais pas par où commencer. Je découvre plus tard que j’étais empli de fausses croyances, d’a priori bien ancrés et totalement bloquants.

Une épaule rassurante

Les jours s’enchaînent, une routine s’installe, jusqu’à cette précieuse rencontre. Celle qui va marquer le tournant de mon parcours. Au détour d’une conversation, je suis introduit à l’association Article 1. La chance fera le reste. Éric, celui qui va devenir mon mentor, prend alors contact avec moi. Plus qu’un tournant, c’est un tremplin. Éric prend le temps de comprendre mes besoins. D’où je viens ? De quoi j’ai envie ? Qu’est-ce que je sais faire de mieux ? Qu’est-ce qui compte réellement pour moi ? Il est animé d’une envie sincère de m’aider à me développer. Il s’engage auprès de moi.

Au-delà des compétences et du savoir, cette présence est des plus rassurantes. En cas de souci, je sais pouvoir compter sur lui. À présent, j’ai une épaule sur laquelle m’appuyer en cas de sérieuses difficultés. Cela peut paraître anodin, mais c’est une des plus belles choses qui ne me soit jamais arrivées. Une personne extérieure, expérimentée, appartenant à ce monde auquel j’aspire, mais que je ne connais pas, vient à moi et me prend par la main. Une réelle introspection. Un nouveau départ, en somme. Chose inédite, je me surprends à partager de grandes ambitions, sans trembler, sans redouter le jugement extérieur. À présent, je connais l’envers du décor. Je sais non seulement que cela est possible, mais aussi comment y arriver. Je m’emploie à poser les premières bases de mon projet, étroitement construit avec mon nouvel allié, bien décidé à me donner les moyens de mes aspirations.

Je choisis de réorienter mon parcours, et j’intègre une grande école de commerce : l’ESSEC. Un nouveau sentiment, celui d’être comme un poisson dans l’eau ! J’ai trouvé un environnement davantage en phase avec ce qui me définit. Je poursuis mon développement. J’ose me servir de mon propre entendement… enfin. La notion de réseau ne m’apparaît plus comme un tabou, ni même un mystère. Des rencontres, des expériences de vie. L’une des plus riches sera l’année passée au sein des différents programmes d’égalité des chances de l’ESSEC. Je ne le sais pas encore, mais je ne vais pas quitter de sitôt cet écosystème. Je n’ai plus peur de pousser les portes, d’assouvir ma curiosité. J’ajuste mon projet. Jamais je ne me suis senti aussi maître de ma vie. Il ne tient qu’à moi, à présent, de lui donner corps comme bon me semble. Je poursuis la recherche du « match » idéal entre mes envies, mes capacités et les besoins sociétaux.

Les fruits de ce travail ne tardent pas à arriver. Les premiers résultats se ressentent dans le champ professionnel. Je décroche mes premières opportunités par l’intermédiaire de mes contacts. Étonnamment, la relation avec mon manager est significativement différente des précédentes. Cette fois, je le « connais ». Notre relation avec Philippe est des plus agréables, bienveillantes, productives, comme si l’un des critères de recrutement avait été le « fit » avec l’équipe. Il a compris mes principaux besoins, j’ai compris les siens, et nous nous employons à les satisfaire.

Comprendre le monde tel qu’il est

Parmi mes besoins les plus forts se trouve celui de comprendre la réalité du terrain.

Au fond, mis à part la théorie enseignée (ou pas) en école, comment « tout cela » fonctionne-t-il ? Une réalité parfois peu évoquée en public (et pour cause, souvent inavouable), mais qu’il s’agit de pleinement maîtriser si l’on souhaite être pleinement maître de son projet de vie. Des intérêts très personnels, servis par des pratiques peu recommandables, au détriment de l’intérêt supérieur de l’organisation et de tout engagement participant de l’intelligence collective. Discrimination, harcèlement…

Je découvre également ces prisons dorées que constituent les emplois vides de sens, où l’on cloisonne les nouvelles générations, déconnectées de toute mission sociétale, en échange d’un confort certain. Je viens d’acquérir un précieux savoir, de développer des compétences clés. Je suis à même de produire, de me surpasser.

Pour autant, je me confronte à des barrières que je n’aurais jamais pu imaginer. Un ordre établi, certes nécessaire dans l’esprit, mais infiniment déconnecté des enjeux humains au quotidien dans les faits. J’assiste, impuissant, à la destruction à petit feu de nos biens communs, du potentiel de chacun, à commencer par les plus engagés. Les relations humaines sont empreintes de défiance, sans volonté aucune de privilégier un environnement participatif, inclusif, dans le but de créer toujours plus de valeur. On s’éloigne progressivement de notre idéal républicain, et les menaces sont réelles. Repli, répression, mépris des changements climatiques… Un environnement dénué de sens. Pour autant, je sais avoir le choix : accepter ce constat et le subir docilement, ou agir. Si je devais ne retenir qu’un seul événement de mon parcours, je parlerais du jour où je suis passé de l’étudiant « exemplaire », « conforme » aux attentes, au statut d’individu libre. Une liberté que je ne cesserai d’entretenir, et que je mets à profit dans l’action.

S’engager pour changer les choses

Aller vite, efficacement. Tel est le sens de mes projets conduits avec les acteurs clés du changement. Programme d’intrapreneuriat au sein de grandes organisations en collaboration directe avec le Parlement, actions « coup de poing » et formations continues aux côtés de ceux qui s’organisent pour faire évoluer la situation dans le bon sens (Ticket for Change, Article 1…), en passant par l’écriture de ces lignes.

Progressivement, mais sûrement, je souhaite allier mon épanouissement personnel à l’action utile. Fort du capital acquis, je souhaite faire partie de ceux qui amènent chacun à identifier leurs talents, leurs envies, à prendre leurs responsabilités pour contribuer à notre bien commun.

Fin 2019, j’ai ainsi naturellement rejoint la communauté On Purpose avec l’ambition de décupler mon impact par la voie professionnelle. Je vis à Versailles. Mon père nous a quittés en début d’année. J’encourage et accompagne mes demi-frères à poursuivre leurs études.

Profondément attaché à mes valeurs, je reste fidèle à moi-même. À une différence près, peut-être… je ne m’impose plus aucune limite.