Marie-Lou

Gisors

"J’aurais pu renoncer à maintes reprises, mais la volonté, le désir de m’accomplir ont été plus forts. Aujourd’hui, je m’emploie à transmettre ces valeurs autour de moi."

Je m’appelle Marie-Lou, je suis née en 1991 à Gisors, une petite ville de Normandie, d’un père ouvrier et d’une mère qui a enchaîné les petits boulots. À mes 6 ans, mes parents se séparent et ma mère et moi emménageons dans un HLM de la ville. Ma mère trouve un travail de nuit à l’usine, où elle se rend chaque jour en vélo, car elle n’a pas le permis de conduire. Elle part tous les soirs vers 20h et rentre à la maison au petit matin. J’apprends à me débrouiller seule. En parallèle, ma mère fait des ménages. Je l’accompagne parfois le mercredi après-midi pour l’aider.

Ma scolarité se passe bien : je m’investis beaucoup, prépare des exposés sur des sujets qui m’intéressent et joue même une pièce de théâtre que j’ai écrite. On me propose de sauter une classe, le CM2, mais je refuse, car je ne me sens pas prête à entrer au collège. Comme une prémonition des années qui vont suivre. J’entre en 6e en 2001. Je suis toujours une excellente élève, mais j’ai du mal à m’intégrer. On m’appelle « l’intello » en référence à mes bonnes notes et à mon vocabulaire élaboré, mais aussi « la moche » et « l’épouvantail ». On est souvent mal dans sa peau à cet âge-là, et moi qui suis déjà timide de nature, je me renferme encore plus. La relation entre mes parents se dégrade. Je me réfugie alors dans les livres et les jeux vidéo.

De cette époque-là, un sentiment prédomine : la honte. La honte d’être pauvre, d’inventer des excuses pour ne pas aller au cinéma et aux anniversaires, de ne pas pouvoir m’acheter des vêtements de marque, voire des vêtements neufs, de ne pas payer les sorties d’école à temps. Les professeurs me réclament chaque jour l’argent des sorties devant toute la classe. Je suis obligée de dire que j’ai oublié, alors que ma mère ne peut tout simplement pas me donner cet argent. Je reçois plusieurs punitions pour ces oublis répétés, et au-delà de l’injustice que cela représente, je le vis comme une véritable humiliation. Heureusement, je suis entourée de très bonnes amies qui me soutiennent et qui m’aiment pour ce que je suis. Ces amies, je les ai encore aujourd’hui. 

La passion de l’écriture

L’écriture, ma plus grande passion, me tient debout toutes ces années. Je m’évade par les mots, j’invente des histoires dans lesquelles je suis actrice de mon destin : des histoires où je suis forte, où j’ai des super pouvoirs, où je vis des aventures extraordinaires. C’est presque une question de survie. Grâce à mon imagination, je crée des mondes entiers dans lesquels je peux me réfugier, dans les moments où je rêve d’une autre vie.

Mes parents se sont toujours arrangés pour que nous partions en vacances, mais l’été 2007 est l’exception à la règle. Je dois trouver une occupation pendant les deux mois que je vais passer dans la palpitante Gisors. Un soir, en ouvrant le frigo, je fais la rencontre de celle qui devient ma muse : une courgette ronde. Pas banal de trouver sa source d’inspiration dans le bac à légumes ! J’imagine alors un sport collectif dont le ballon serait remplacé par une courgette : le « Courgettes-Ball ».

De cette idée farfelue naît un monde régi par l’absurdité, Dingopolis. Tous les gens qui y vivraient seraient complètement fous. La voilà, mon occupation de l’été 2007 : écrire Bienvenue à Dingopolis. Jenna, mon personnage principal, me ressemble beaucoup. Les chapitres s’enchaînent naturellement, et en 2 mois je réussis à achever mon roman. Impatiente, je ne veux pas attendre les retours des éditeurs et publie mon livre sur un site d’auto- édition, thebookEedition.com. Je choisis moi-même la couverture et fixe un prix de vente, avant de contacter la presse pour promouvoir mon roman. C’est d’ailleurs à la suite d’une interview avec L’Impartial, le journal local, que j’obtiens mon premier job : je deviens correspondante. Une bonne façon pour moi de gagner un peu d’argent tout en aiguisant ma plume. Je négocie pour mettre mon roman en vente dans la librairie de Gisors et organise une séance de dédicaces. Pour moi le rêve prend vie, les gens aiment et achètent mon roman, ils me disent que j’ai du talent. Grâce au blog dédié à mon livre, je fais connaître Bienvenue à Dingopolis et vends des centaines d’exemplaires.

La bonne impulsion pour s’orienter

En 2009, une prof de français que j’aime beaucoup, Mme Combault, vient parler de la prépa littéraire à ma classe. « Hypokhâgne. » Je n’ai jamais entendu ce mot barbare ! Après l’intervention de Mme Combault, M. Dumez, professeur d’histoire, nous rend les copies d’un devoir auquel j’ai obtenu une excellente note. En me la donnant, il me dit sur le ton de l’humour : « Toi, si tu ne vas pas en prépa, je te mets une claque ! » Comme j’adore ce professeur et que j’ai beaucoup d’estime pour lui, c’est le déclic : j’irai en prépa.

Mon premier choix d’orientation se porte sur la prépa de Rouen, puis sur des formations à l’université de Cergy en deuxième et troisième choix. Je ne veux pas trop m’éloigner de Gisors, car j’ai peur de ne pas pouvoir payer mon logement. J’obtiens mon premier choix et suis admise à la prépa littéraire du lycée Jeanne-d’Arc de Rouen. Je reçois deux bourses (l’une du Crous, l’autre de la Fondation Bouygues) qui me permettent de louer un studio à Rouen. C’est aussi cette année que je fais la rencontre d’Article 1 grâce à une présentation de l’association organisée par mon lycée. On m’attribue une mentore, Violaine, professeure de français qui enseigne à Rouen. Elle me soutient pendant mes deux années de prépa en me conseillant sur des ouvrages, en m’aiguillant sur la méthodologie ou tout simplement en m’invitant à dîner pour me faire changer d’air, moi qui ne connais personne là-bas. Mon entrée dans les études supérieures annonce le début d’un long parcours semé d’embûches, au cours duquel je pense plusieurs fois à laisser tomber l’école pour aller travailler et gagner de l’argent. Mes petits boulots (de cantinière à vendeuse en passant par hôtesse d’accueil) ne suffisent pas toujours à couvrir mes frais. Mes parents me soutiennent moralement, mais presque pas financièrement : je suis autonome dès l’âge de 18 ans. Ma grand-mère m’aide à payer mon permis et m’avance parfois de l’argent. Ça m’aide à garder la tête hors de l’eau. Malgré les difficultés, je prends beaucoup de plaisir pendant ces premières années loin du cocon familial : les cours m’enthousiasment, je suis stimulée intellectuellement et je me fais des nouveaux amis qui ont les mêmes centres d’intérêt que moi. Malgré l’environnement parfois stressant de la prépa, je me sens épanouie. J’entame une licence de médiation culturelle à la Sorbonne-Nouvelle après ma prépa. C’est une formation passionnante, mais je constate que cette filière est bouchée. J’ai un mal fou à obtenir mon stage de master 1 et je me rends compte que les candidats qui me coiffent au poteau sont des étudiants en école de commerce, qu’on valorise pour leurs compétences en gestion et leur facilité d’adaptation au monde de l’entreprise. Je prends donc une décision qui va à l’encontre de toutes mes croyances : je veux intégrer une école de commerce pour bénéficier des meilleurs atouts à mon entrée sur le marché du travail.

En route pour l’ESSEC

Je me disais que l’école de commerce, ce n’était pas pour moi : pas les moyens de la payer, je ne m’y sentirais pas à ma place, je n’ y arriverais pas. Je brave mes peurs et postule sans trop y croire à une prépa égalité des chances qui s’appelle Cap ESSEC, à quelques jours de la date limite de candidature. L’entretien se déroule dans un café à République, et je découvre que la personne responsable du programme a étudié dans le même lycée que moi. Heureuse coïncidence ! Elle me met en confiance, ce qui me permet de me livrer à elle sans filtre. L’entretien est concluant, et je décroche ma place au sein de la prépa.

L’année 2014 commence sur les chapeaux de roues. Je dois absolument trouver un stage pour valider mon année, je postule donc à la première offre que je vois : un stage de business developer chez Monkey tie, une start-up qui a créé un site de recrutement. Rien à voir avec mes aspirations initiales. L’expérience se révèle très formatrice, je découvre le milieu des start-up et du Web, qui me plaît beaucoup. Ces 6 mois sont très intenses, car en plus du stage, je dois rédiger un mémoire et je passe mes week-ends à préparer les concours des écoles de commerce avec Cap ESSEC. C’est dur, mais mes efforts sont couronnés de succès : je suis admise à l’ESSEC.

J’entre à l’école en septembre et contracte un prêt en me laissant de la marge, en vue d’un échange à Singapour le trimestre suivant. 35 000 € de dettes, ce n’est pas rien ! Mais je suis sereine. Je prévois de trouver un apprentissage pour faire financer mes frais de scolarité par une entreprise. L’intégration à l’ESSEC est laborieuse, certaines matières font souffrir la littéraire que je suis : l’économie, les statistiques, la finance… c’est difficile à vivre pour moi qui ai toujours été douée à l’école. Ma réussite scolaire, c’est tout ce que j’ai et je sais que c’est mon seul moyen de m’en sortir dans la vie. Mais je tiens bon. Être à l’ESSEC me permet de vivre des choses incroyables. Je pars à Singapour et en Inde, je fais mon apprentissage chez IBM. Je monte une start-up qui propose un abonnement mensuel pour assister à des concerts. Le concept plaît et la start- up entre à l’incubateur de l’ESSEC. Avant tout, être en école de commerce me  permet de me décomplexer et de prendre conscience que tout est possible. Il n’y a que moi pour me mettre des barrières ! J’apprends à me dépasser et à vaincre ma peur de l’échec. Moi qui me suis toujours sentie comme une funambule au-dessus du vide, prête à basculer au moindre faux pas, j’ai pour la première fois confiance en l’avenir.

J’abandonne finalement mon projet de start-up pour me diriger vers un autre secteur que j’affectionne : le jeu vidéo. Après un long processus de recrutement et 1200 candidats plus tard, je suis embauchée chez Ubisoft, avec le luxe d’accéder à un poste créé spécialement pour moi ! Je travaille aujourd’hui au sein du département éditorial. Mon métier allie mes compétences de gestion à mes qualités créatives tout en me permettant de travailler sur l’un des sujets qui me tient le plus à cœur et pour lequel je suis investie personnellement : rendre le jeu vidéo plus inclusif pour tous les joueurs, quels que soient leur âge, leur genre, leur origine ou leurs capacités. Je ne pouvais pas rêver mieux ! Entre mon travail, mon engagement au sein d’Article 1 et ma pratique de l’écriture, je me sens comblée.

Une différence à haut potentiel

En 2018, je suis diagnostiquée Asperger à haut potentiel intellectuel. Cette nouvelle est un soulagement, car je peux enfin mettre un mot sur ce que je suis. Ce qui était un fardeau pour moi est devenu une force. Ma manière de penser est très valorisée dans une entreprise comme Ubisoft. En fait, j’ai eu la chance qu’on me laisse ma chance. 2018 est aussi l’année du lancement de ma carrière littéraire. Je gagne plusieurs concours de nouvelles qui aboutissent à des publications dans des ouvrages collectifs. Je suis même invitée au Salon du livre de Genève à l’occasion de la sortie d’un recueil publié aux éditions Encre Fraîche. Parmi mes projets, je me lance dans l’écriture d’un roman que j’espère terminer dans les prochains mois. Et cette fois, j’aurai la patience d’attendre la réponse des éditeurs.