Quentin

Charleville-Mézières

"L’injustice sociale me fait horreur. Comment peut-on ne pas tendre la main, aider, donner ?"

J’ai émis mon premier souffle sur terre au bout de 6 mois de grossesse. 1,100 kg, 48 cm, le dimanche 16 octobre 1994, à 5h55 du matin. Grand prématuré. Une naissance complexe : je devais naître à Charleville-Mézières, dans les Ardennes, sauf qu’ils n’avaient pas les appareils pour que tout se déroule bien. Je suis donc transféré en urgence (et en taxi, parce que ma mère ne voulait pas entendre parler de l’hélicoptère) jusqu’à Reims, dans la Marne. Je suis resté en couveuse pendant plusieurs semaines, avec beaucoup de gens autour de moi apparemment. Vers mes 4 ans, le 12 juillet 1998, plein de gens font la fête. Nous descendons dans la rue, je danse sans comprendre ce qui se passe : c’est la victoire de l’équipe de France en Coupe du monde. À la maternelle, juste à côté ̀ de chez moi, dans le quartier de Manchester, à Charleville, je joue, je rencontre des gens, et notamment une fille. Élodie. Mon premier amour d’enfance. Les autres se moquent, je ne retiens que ça. « Elle est moche, pas propre, tu ne vas pas rester avec ça quand même. » Je vais aussi quelques fois chez un autre ami, Noam. On joue, ça se passe bien, je suis content. Vers l’âge de 5 ans, je devine qu’il se passe quelque chose autour de moi. J’entends : « Il parle trop vite, il répond trop vite avant les autres, il lève la main trop tôt, il faut faire quelque chose, madame, sinon ça va être compliqué pour lui. »

Au centre de l’attention

J’entre en CP à l’école Henri-Bronnert. J’adore, je suis délégué de classe, j’ai que des bons points, la maîtresse, Mme Bonhomme, m’aime bien et moi aussi. Mais il y a un choc. Je comprends qu’on ne va pas me laisser faire ce que je veux, c’est à dire apprendre et faire toujours plus d’exercices. Je suis placé au centre Forest, un centre pour enfants de 6 à 10 ans qui présentent des troubles psychologiques. Je ne comprends pas. Je travaille bien, je suis le meilleur en classe. Pourquoi dois-je aller là-bas ? Je vis ça comme une souffrance, mais aussi comme une délivrance. Ma mère a beaucoup souffert. Elle a toujours été protectrice avec moi. Et très peu confiante envers les autres. Quand ma grand-mère m’a gâté de cadeaux, elle s’est fâchée. Quand je voulais jouer au foot avec les gens du quartier, elle a toujours refusé, et mon père aussi. « Hors de question, je ne veux pas que tu finisses mal. »

J’ai grandi entre plusieurs états, dans une incompréhension globale, autour de moi. En primaire, je n’avais pas trop de copains. Un seul, Alexis. J’étais aussi amoureux d’une fille, Krystal. Elle était douce, un peu inaccessible. Quand certains ont su que je lui plaisais, ça a fuite chez tout le monde. Elle m’a évidemment  repoussé. J’en ai beaucoup souffert. Je jouais au foot, de temps en temps, mais surtout aux billes. Parce qu’au foot, j’étais le dernier à être pris. Un peu gros, maladroit, et pas souvent là en plus (j’allais au centre Forest le mercredi et un autre jour de la semaine aussi je crois). Un jour, je jouais au foot avec les gars à l’école. J’arrive côté droit, il n’y a plus personne dans le but. À côté, mon coéquipier, Bilal Celik. Je veux lui faire une passe, mais je réfléchis trop et je me foire complètement,̀ tout en perdant le ballon. Tout le monde me crie dessus, et plus personne ne me passe la balle.

Les fleurs du foot

Pourtant, j’adorais le foot. Le samedi soir, il y avait match. La ligue 1. La sensation de mouvement, le ballon, je me suis senti bien. Derrière mon HLM dans le quartier, il y avait un petit terrain. Deux arbres faisant office de poteaux, moi et mon ballon. J’y ai tiré des milliers de coups francs, je ne faisais que ça après l’école. Je n’avais qu’une obsession : les mettre en lucarne. Deux pas vers l’arrière, un pas vers la gauche, taper la balle un peu en bas à gauche pour lui donner de l’effet, et hop. En 2005, je vais voir mon premier match : Sedan-Grenoble en Coupe de France. Je tombe amoureux de Sedan. Les couleurs vert et rouge, le grand stade (Louis-Dugauguez, 23 189 places), j’adore. Je suis l’épopée en Coupe avec  la finale contre Auxerre, perdue 2-1 avec un coup franc magnifique de Stéphane Noro, mais un but cruel de Bonaventure Kalou à la 94ème minute.

À 12 ans, dans un bureau de tabac, je demande à mon père d’acheter  L’Équipe, le journal. Mon père me l’achète. Il a très peu de moyens, mais il en a toujours eu pour ça. Il n’aime pas le foot, mais il sait que je l’aime, alors… Au lycée, en seconde, je partage de plus en plus ma passion pour le foot avec mes amis. C’est une métaphore d’une partie de ma vie : je réfléchis beaucoup, je donne beaucoup, je fais quelques actions magnifiques, mais j’ai du mal à marquer. Surtout au lycée. Je redouble la seconde parce que je n’arrive pas à travailler : trop préoccupé par mes émotions, celles de mon entourage, c’est difficile. Je ne me sens pas compris et j’en souffre. Je veux donner de l’amour, mais très peu de gens arrivent à le recevoir. En 2011, une rencontre change mon environnement : mon professeur de français, M. Preziosi, pendant ma 2ème seconde. En début d’année, il nous fait travailler sur les Fleurs du mal, de Baudelaire. Une révélation. Magnifique. Il me conseille, j’apprends à perfectionner ma technique de prise de notes. C’est dur, je m’accroche, j’adore. Le travail est toujours une bouffée d’oxygène pour moi, partout, tout le temps. Cela me permet de progresser, d’aller plus loin, plus haut. L’autocritique révèle les meilleurs. J’ai le bac sans mention, mais avec 16 à l’écrit et 20 à l’oral en français. J’ai choisi le bac STG, sur les conseils de M. Preziosi. Et je suis tombé à l’oral sur les Fleurs du mal. Je révise comme un dingue. Je m’isole sans arrêt à la médiathèque, je prends le bus ou j’y vais à pied, ma famille ne comprend pas trop, excepté mon père. J’ai aussi beaucoup de discussions avec ma grand-mère paternelle. Elle comprend mon besoin de réussite. Elle donne le peu qu’elle a pour que je puisse m’épanouir.

L’éclosion en classe prépa

Après le bac, je choisis d’aller en prépa ECT (économique commerciale technologique) a Reims, au lycée  Roosevelt, qui prépare aux concours des grandes écoles de commerce. Mon père m’encourage dans ma décision : « Chaque fois que tu prends une décision, va au bout et assume. » L’installation à Reims est compliquée. Je rentre dans un appartement où je n’ai ni eau ni électricité pendant 15 jours. Mais l’excitation me donne envie de continuer.

Dix personnes quittent la prépa au bout d’une semaine. Pas moi. Je me dis : « Tu ne démissionnes pas d’un projet. Tu vas jusqu’au bout, peu importe si c’est dur, si tu souffres, n’abandonne pas, tu n’es pas un lâche. » C’est aussi l’occasion de me faire des amis de manière durable. Je discute avec Théo. On parle football. Puis  viennent Guillaume, Baptiste, Marine, Hicham, Zakaria, Sahin, Alexandre et d’autres.

La prépa est difficile. En novembre 2015, je me fais une rupture des ligaments croisés en trébuchant sur un clou. Je termine ma 1re année difficilement, mais j’y arrive. Ma 2e année est en dents de scie. En janvier 2015, je dois préparer mes oraux, me raconter, j’ai peur, car je ne sais rien dire, puis le dimanche 11 janvier 2015, je vois sur Twitter une offre pour devenir journaliste bénévole au sein d’une émission de radio à Reims, le Sportiplex, pour la radio RCF Reims-Ardennes. Je me lance.

J’avais commencé à écrire des articles sur un blog que j’avais créé, ça leur a plu, j’écris des articles pour eux, et puis je fais des tests au micro, puis une intervention à l’antenne, des articles, et enfin je commente un match.Je stresse à mort, mais je le fais.

Après la prépa, je suis pris à l’ISC Paris, une école de commerce. Et là, la réalité me rattrape. Après la difficulté à contracter un prêt, je me retrouve à faire 1h de trajet le matin entre l’école et mon studio à 800 € mensuel à Saint-Denis. Je finis ma 1ère année avec mes boîtes de conserve pour alliées. Mon père est chef de chantier  dans le bâtiment et ma mère est femme au foyer. Je fais toujours partie des 1% des fils d’ouvriers en école de commerce. Mon école est partenaire de Article 1. Je vais à une réunion d’information, j’hésite, finalement je me lance et je candidate. Je suis pris, le mentor m’a été attribué. J’ai intégré les Different Leaders, j’y ai rencontré des personnes incroyables. Par la suite, à plusieurs reprises, je veux me désengager. Cela ne va pas assez vite. Je m’ennuie, j’ai du mal à y trouver ma place. Heureusement, des personnes prennent du temps pour moi. Cet engagement, c’est une bouffée d’oxygène pour moi. À̀ l’association où à l’école, je ne contrôle pas vraiment mes émotions, je suis souvent malheureux le soir en rentrant, j’aspire à plus haut. Le syndrome de l’imposteur, que j’ai depuis tout petit, est plus que jamais présent à ce moment-là. Je suis au fond du trou. Mais je retourne à la médiathèque que, lire, j’écoute des gens qui continuent à essayer de m’enfoncer parce qu’eux-mêmes n’ont pas réussi 20 % de ce que j’ai fait, avec ma détermination et mon courage, ́ je les entend m’enfoncer tout en sachant que je vais rebondir. Je ne lâche jamais rien, tôt ou tard j’y arrive.

L’envol

En mai, Laura Merckx, organisatrice de la communauté Different Leaders dans l’association, m’appelle et me propose un projet entre le master 2 RH de mon école et l’asso pour encadrer des étudiants, puis assister au Codir de la fusion entre Passeport Avenir et Frateli, qui deviendra Article 1. J’ai envie de pleurer. La voilà ma relance.

Je suis capable d’être en réunion avec d’autres personnes et de conduire un projet, c’est facile ça. Laura me parle du programme MA1SON. Une révélation. J’intègre la résidence Porte de Vanves. Je me relance, fais une césure et commence un stage en tant que commercial où je me donne à fond, mais souffre humainement avec l’entreprise, même si j’apprends énormément de choses avec certains de leurs salariés. J’intègre une entreprise dans le recrutement, quittée depuis. En juillet 2018, je décide de faire encore plus de développement personnel. Je me rappelle du mot « surdoué », on me qualifie souvent comme ça sans que j’y crois.

Je creuse, je creuse toujours aujourd’hui. Je suis de plus en plus libéré, de plus en plus souriant, heureux, ambitieux. J’ai toujours des périodes où je suis moins bien, mais je les accepte mieux. Ma frustration est toujours difficile à gérer, mais je progresse. Je m’aime de plus en plus, tout en ayant les pieds sur terre, en restant modeste et ambitieux. J’ai hâte de me libérer encore plus, d’avoir plus confiance, de multiplier les projets, d’aider mes proches, de changer le monde à mon échelle.