Sixtine

Louviers

"Je crois profondément qu’il faut oser dans la vie et être fidèle à ses valeurs. La bienveillance et le respect sont les fondements de l’épanouissement."

Mon papa est né à Rodrigues en 1954. Cette île de 30 000 habitants ne possède ni électricité ni infrastructure scolaire. Pour lui offrir une vie meilleure, ma grand-mère débarque en bateau à l’île Maurice en 1955. L’île est alors encore sous le contrôle des Britanniques et le restera jusqu’à son indépendance en mars 1968. Mais mon père doit quitter l’école à l’âge de 13 ans pour payer les études de sa sœur et de ses petits frères. Il s’adonne à la pêche jusqu’à ses 17 ans. Sur une plage, il rencontre le chef de chantier du futur Club Med de La Pointe aux Canonniers qui l’embauche et l’emmène ensuite en Israël pour construire le Club Med d’Eilat. Le sourire aux lèvres, débrouillard et travailleur, il devient serveur, barman, assistant de bar, responsable de bar puis directeur de la restauration. Il fait le tour du monde. C’est, au mitan des années 80, lors d’une saison aux Bahamas qu’une femme change sa vie et lui fait découvrir la culture française : ma mère.

Audacieuse et en quête d’aventures, elle vient de Normandie. Benjamine d’une famille française modeste de 6 enfants, on la prédestine à être comptable, mais ce n’est pas du tout son ambition.

Elle veut voyager, danser et vivre. Elle rejoint le Club Med en 1983 et, comme mon père, gravit les échelons un à un pour devenir directrice du service Enfance de différents clubs.

Mon grand frère Valentin et moi sommes le fruit de cette rencontre. Nous baignons depuis toujours entre le tempérament volcanique de mon père qui peine à contrôler ses colères et la douceur de ma mère. 

Une scolarité artistique et solidaire

Je grandis à Louviers en Normandie, je vais à l’école et je me pose sans cesse des questions. Pourquoi le lieu d’habitation, la couleur de peau de quelqu’un ou l’accent de mon père doivent-ils faire l’objet de moqueries ? Je me promets de faire quelque chose. L’école primaire passe, le collège arrive. Je suis sociable, j’ai des amis, j’organise des collectes de jouets pour une association à Dakar au Sénégal et de temps en temps je chante pour mes camarades dans la cour. En 2013, avant ma rentrée de 3e , je retourne à l’île Maurice avec l’UNICEF pour ma première expérience humanitaire dans un orphelinat. C’est les montagnes russes dans mon cœur. Je ressens de la tristesse, de la peine, de l’amour. J’ai le sentiment d’être vraiment utile. Cette expérience me marque profondément.

Arrivée au lycée à Louviers, je passe ma 1ère année au côté de Romane, ma voisine de cours de maths. Elle est musicienne. Rapidement, nous montons un duo guitare/voix ensemble. Je me passionne pour la musique. Je chante à tue-tête. Romane aussi. Nous répétons chaque week-end et nous nous produisons sur des scènes plus ou moins grandes. Je commence également à faire des photos. Poser me donne confiance en moi et cela m’amuse de jouer les modèles. Cette même année, je tourne dans des courts-métrages.

Les professeurs ne misent pas sur moi. Après la seconde, je prends la décision de partir en 1re sciences et technologies du management et de la gestion. Au début, j’ai des a priori, mais je décide de travailler, de travailler beaucoup. Je supplie mère de m’emmener à Paris pour des castings de cinéma, La Famille Bélier, Jappeloup, Cloclo… tout s’enchaîne. Je mets de la passion à chaque épreuve. Je suis prise à diverses reprises, mais je dois aussi me concentrer sur mon bac, l’objectif ultime selon mes parents.

Le bac, et maintenant ?

En juin 2014, je décroche mon bac avec mention. Champagne… Mais comme tout le monde, il faut s’orienter, choisir sa voie d’études. Le problème c’est qu’à la maison, les informations sont compliquées à trouver, mes parents ne peuvent pas m’aider. Je démarre une formation de 2 ans, brevet de technicien supérieur – assistant manager. Je quitte la maison à 17 ans, prends mon premier appartement et un petit boulot. J’enchaîne les stages. J’ai l’opportunité de participer à la création d’une gamme de macarons pour Marks & Spencer à Londres, et à des projets d’amélioration des conditions de travail chez Sanofi Pasteur.

Parallèlement, je rêve de découvrir le monde du Club Med dont mes parents me parlent depuis toujours. Je fais la connaissance d’un recruteur, Vincent de Thysebaert, qui me permet de passer un entretien pour travailler au Club Med. Deux jours interminables d’attente. Je reçois un coup de fil le 23 mai 2015 à 15h25 : je suis prise ! Folle de joie, je pars la semaine suivante à Serre Chevalier pour ma première saison. Cela me permet de payer les frais des concours d’écoles de commerce. Je décroche Kedge Business School. C’est pour moi une révélation, je repense à mes professeurs : « De toute façon, après un bac SMTG, qu’est-ce que tu comptes faire, Sixtine ? » « Passe ton permis, Sixtine, avant de vouloir aller dans une grande école, de toute façon tu ne passeras même pas les écrits. » J’ai bien fait de m’accrocher. J’ai donné tort à tout le monde (et j’ai obtenu mon permis au passage).

La vie bordelaise

Frais d’inscriptions payés, prêt contracté. C’est une nouvelle vie bordelaise qui débute à plus de 600 kilomètres des miens. Avant d’emménager à Bordeaux, je pars en saison au Club Med de Valmorel. On est le 1er août 2016, c’est mon anniversaire, j’ai 20 ans, on est 70 à fêter ça comme il se doit.

Bordeaux, je n’en connais ni les lieux ni les personnes. J’assiste à la présentation de l’association Article 1, qui a un programme de mentorat pour les jeunes talents issus de milieux défavorisés. Je comprends que je fais peut-être partie de leur cible, après tout, j’ai un bac technologique et je me retrouve en école de commerce au même titre que les autres. C’est le début d’une grande histoire. En octobre 2016, on m’attribue un mentor et je rencontre Frédéric Jamois, DRH d’Air France. Frédéric me parle des Different Leaders de l’association. Je candidate et l’intègre. J’y rencontre d’autres jeunes formidables aux histoires atypiques. Certains deviennent mes plus proches amis.

Pendant ma 1ère année de master, je fais face à la réalité difficile d’une étudiante boursière, il faut tout assurer financièrement, pas question d’embêter mes parents. Je passe mon année à travailler entre le rayon multimédia de Boulanger et les bancs de l’école. En parallèle, je m’investis avec les Different Leaders à la préparation de la Journée mondiale de l’égalité des chances à Washington DC. De retour à Bordeaux, le rythme reprend et le peu d’heures de sommeil ne m’empêche pas de penser à la suite. C’est bientôt l’année de césure. Je dois chercher un stage, j’ai beau envoyer des dizaines de candidatures, je n’essuie que des refus ! J’ai envie d’abandonner. Ma rencontre avec Christel de Foucault, une experte de LinkedIn change tout. Nous sommes en janvier 2018. Sur ses conseils, je passe une nuit à coder un site internet pour en faire mon CV, je conçois une vidéo originale expliquant ma recherche de stage. Au petit matin, je publie le tout. Quelque chose d’incroyable se passe, le post devient viral, mon site web est visité des milliers de fois. Dès le lendemain, je me retrouve avec une centaine d’offres de stage à traiter.

D’Engie à l’égalité homme-femme

Un mail reçu à 00h42 fait la différence, celui de Catherine Cousinard, la nouvelle directrice du digital, secteur BtoB France du groupe Engie. Un billet de train Bordeaux-Paris, tickets de métro en poche, je débarque avec mon sac à dos, perdue à La Défense. Catherine est sympa, elle me récupère sous la Grande Arche. Je signe ma convention de stage dans la foulée. Sur le trajet retour, j’écoute « Le Blues du businessman ». Je me sens accomplie.

Le 1er juin, j’emménage dans la résidence d’Article 1, dans le cadre du programme MA1SON, Porte de Vanves. J’intègre Engie le 25 juin 2018. À l’occasion du séminaire européen égalité hommes-femmes en octobre 2018, je rencontre Isabelle Kocher, directrice générale d’Engie. Autour d’elle, les uns et les autres sont un peu éberlués que moi, la stagiaire, je n’ai pas peur de l’aborder pour lui parler des droits des femmes et de l’égalité des chances. Ça ne se fait pas. Et pourquoi pas ? Isabelle Kocher apprécie, elle est à l’écoute. Je lui fais part de mes engagements associatifs. L’aventure chez Engie prend un autre tournant et je rejoins la direction de la communication.

Je rencontre la réalisatrice Lisa Azuelos et Diariata N’Diaye, fondatrice de l’association Résonantes. Ces rencontres me permettent de revenir sur une de mes passions initiales : le cinéma. Je m’engage sur le projet Yolove, un film, mais plus largement un mouvement autour du harcèlement scolaire et du sexisme à l’école. La place des jeunes me tient vraiment à cœur. J’ai la chance d’être admise chez les Global Shapers, communauté de jeunes issue du Forum économique mondial. Un an après, de nouvelles opportunités s’ouvrent à moi. Je rencontre Karin Roubaudi, la directrice Afrique de Richard Attias & Associés. Après plusieurs entretiens, je suis prise. J’intègre l’équipe du prochain Sommet Afrique-France 2020. Depuis ? Le temps s’accélère. Nous travaillons d’arrache-pied pour réussir. C’est un formidable challenge.