Depuis sa petite ville natale dans les Ardennes, Quentin a tracé sa route vers une grande école de commerce à Paris. Non sans obstacles.
On aurait dit qu’il avait enfilé un costume trop grand. Celui de l’adulte. C’est sa locution qui fait ça. Son point fort. À tout juste 22 ans, d’un ton calme et serein, Quentin raconte son parcours avec précision. Capable ainsi de se rappeler la temporalité – « C’est arrivé un jeudi matin, un vendredi soir, un 5 juillet… » – tout en refaisant les dialogues échangés. C’est que Quentin nourrit un vieux rêve depuis qu’il a 14 ans : celui d’être journaliste sportif. Vieux rêve qu’il a laissé tomber. Plus ou moins.
Faut dire que, dès la fin de la seconde, son prof de français lui a fait comprendre que la première L, ça n’était pas pour lui. Et que la filière STG lui conviendrait beaucoup mieux. Quentin écoute, en se disant que peut-être il pourrait alors devenir manager sportif. Il n’est pas bon partout, mais dans certaines matières il assure. Au bac de Français, il obtient d’ailleurs 20 à l’oral et 16 à l’écrit.
Quand vient le temps de l’orientation, on lui dit cette fois que, vu ses capacités, le BTS, pour lui, c’est bien. Ou la fac sinon. Mais Quentin voit grand et veut quitter sa campagne de Charleville-Mézières.
« J’avais envie de me lancer dans quelque chose de fou pour voir si j’étais capable de viser plus haut », explique-t-il.
Contre l’avis général donc, il se lance dans une prépa à Reims. Pour préparer les concours des grandes écoles, on explique aux élèves qu’il doivent avoir une histoire originale à raconter lors des entretiens. « Je n’ai jamais rien fait de ma vie, que voulez-vous que je raconte ? », rétorque-t-il. Puis, il tombe sur une offre de bénévolat pour le site web d’une radio sportive de Reims. Pas mal, surtout qu’il tient un blog sur lequel il rédige des comptes rendus sportifs.
Et là, un jeudi soir précisément, la radio lui demande de remplacer un commentateur absent le lendemain. C’est le dernier match de basket de la saison pour l’équipe de Charleville-Mézières. Il sait qu’il y aura du monde qui l’écoutera derrière. Pas énorme, mais assez pour mettre la pression à un novice comme lui. Quentin y repense encore exalté. « J’ai raconté ça lors de mes oraux de préparation à Reims, la personne en face de moi m’a dit ‘tu me fais aimer le sport alors que je déteste ça, c’est incroyable. Ça fait des années que je fais ces préparations, je n’ai jamais vu ça’. Je lui ai demandé si elle plaisantait. » Non, t’as un truc, lui a-t-elle répondu. Ce jour-là, Quentin commence à gagner en confiance.
« J’ai mis du temps à prendre conscience de mes capacités. Même encore maintenant j’ai parfois du mal. Mais quand j’ai une opportunité, j’essaye toujours de la saisir à fond. »
Il passe ses oraux de concours. À Dijon, il a 20. À Troyes, il a 20. À La Rochelle, 16,5. À l’ISC Paris, 12,5. Il choisit l’ISC. Car c’est l’école qui propose la meilleure spécialisation en management du sport. C’est aussi la plus chère des quatre. Il emprunte 39 000 euros. « Gros risque », dit-il. Il est logé chez sa tante en banlieue parisienne, et se farcit 3h de trajet par jour. « Je reste dix mois, puis au bout d’un moment, le trajet ça m’use. » Il opte alors pour une colocation en Seine-Saint-Denis.
Et puis, il y a Passeport Avenir. Et surtout, son tuteur avec qui il a été mis en relation : Brice. Du genre businessman, qui parcourt le monde pour son travail et qui a la parole plutôt directe. Brice est directeur de la distribution Asie-Amérique Pacifique pour France 24. Quentin est impressionné: s’il ne bosse pas avec lui, il va le regretter, pense-t-il. Il lui explique qu’il cherche un stage. Il a envie de bosser. Il est prêt à sacrifier ses vacances d’été pour travailler cinq mois au lieu de deux.
Après deux entretiens à France 24, Quentin est recruté comme assistant chargé de la distribution commerciale. Son tuteur devient alors son maître de stage. « Au début, c’était dur. Brice était très exigeant et bienveillant en même temps. Je lui ai dit que je viendrais toujours travailler avec le sourire. Mais j’ai posé mes conditions, en lui demandant des retours, qu’il me parle de ce qu’il fait, qu’on échange comme si j’étais quelqu’un de l’entreprise. » Le deal fonctionne. Quentin bosse dur sans rechigner à la tâche.
Quatre jours après la fin de son stage, il rattaque l’école pour sa deuxième année. Pas vraiment le temps de souffler. Le mois de janvier arrive avec ses déconvenues. De l’argent qu’il avait emprunté, Quentin, n’a plus rien. Le prix de la vie à Paris, son loyer, ses allers-retours pour rentrer chez lui… L’argent est parti plus vite qu’il ne le pensait. « Je n’avais pas anticipé ça », livre-t-il, gêné.
Alors qu’il est censé débuter un stage de quatre mois à l’étranger en avril, Quentin fait ses valises pour Charleville-Mézières. De stage il n’en a pas trouvé et de toute façon comment le financer ? En fait, Quentin espère trouver un job alimentaire pendant ces quelques mois. Sauf qu’il ne trouve rien. Dans sa région, c’est plutôt la crise. Quatre mois plus tard, fin juillet 2017, Quentin est toujours chez ses parents. Comme en stand-by. Il ne bosse pas. La chute est dure à encaisser.
« Dans ma tête, c’est un échec terrible. J’étais plutôt bien parti et là… Je m’en veux. Je crois qu’en ce moment je suis un peu perdu, oui perdu… »
Le système est bien fait, c’est à lui qu’il en veut : d’avoir mal géré, mal anticipé, de ne pas avoir su… Pourtant, il n’oublie pas qu’il fait partie des rares 2,5 % d’élèves fils d’ouvrier en école de commerce*. Pour ne pas laisser tomber ses études, Quentin a décidé, en accord avec son école, de réaliser une année de césure en septembre. Il espère travailler et mettre de l’argent de côté pour payer sa troisième année d’école. Toujours à la recherche d’un CDD pour la rentrée, il tente de rester positif : « Je suis toujours motivé et déterminé, mais il me faut une relance là. Quelqu’un qui croit en moi, qui me donne ma chance. Et après, je sais que ça repartira ».
D’autant que son retour sur Paris est déjà prévu. En août, Quentin va intégrer le programme Maison Frateli. Il accédera à un logement en résidence du Crous et, en échange, il devra dédier chaque semaine quatre heures de son temps au développement d’un projet solidaire avec l’association. Avec l’espoir ainsi de trouver de nouvelles opportunités de travail sur la capitale.
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* source: Observatoire des inégalités – données du Ministère de l’éducation nationale 2014-2015
*** Par Magali Sennane @MagSenn & Gwel Photo***