De sa terre natale Guinéenne à Paris, rien ne prédestinait Amadou à parcourir tant de chemin. À 32 ans, ce chef de projet chez BNP Paribas issu des quartiers souhaite désormais inspirer les plus jeunes.
Amadou, c’est l’ancien. Le papa certains diront. Celui que les jeunes de la communauté des Different Leaders appellent quand ils ont besoin de conseils avisés. Normal, il est l’un des premiers chaperonnés par Passeport Avenir. Père, il l’est d’ailleurs. D’une petite fille de trois ans, dont il ne dira rien de plus. Corps longiligne, bouc, costume clair et lunettes fines : le look colle au personnage de cet ingénieur IT.
Toujours souriant, Amadou est un peu rôdé – ancienneté oblige – dans l’art de raconter son parcours. Le jeune a grandi à Aubervilliers, dans le 93. Élève moyen, il déconne avec les potes, sèche parfois les cours, mais ne dépasse jamais les limites. À la maison, Amadou est un touche-à-tout, comme son modèle Mcgiver. Il aime bidouiller et réparer les appareils cassés. Avec son goût prononcé pour les technologies et l’électronique, il s’oriente vers un bac STI. Il finit dans un lycée en Seine-Saint-Denis qu’il qualifie, pour casser les clichés, de «franchement bien».
Après un BTS électronique, sur les conseils de ses profs, il enchaîne avec une prépa Adaptation Technicien Supérieur (ATS). S’en suivent trois années d’école d’ingénieur. À côté, il bosse les week-ends comme vendeur chez Leroy Merlin. Non pas pour payer ses études, gratuites, mais pour mettre de l’argent de côté « au cas où ». Toujours modéré, il raconte : « Ce n’était pas facile de tout combiner, mais ça allait, c’était un travail intéressant et ça m’apprenait autre chose ». Ses examens réussis, il se lance dans une dernière année de master, à Caen. En fait, quand Amadou fait des choix, c’est toujours de façon pragmatique. Il réfléchit par étape, afin d’être sûr de pouvoir travailler rapidement si besoin.
« On ne veut pas être un fardeau pour ses parents, alors on essaye d’être autonome le plus tôt possible. »
Le discours est presque trop lisse, donc, on cherche un peu la faille. On tente alors la question : certes il vient des banlieues, d’un milieu modeste, mais pourquoi serait-il, lui, un leader différent ? Il hésite et répond : « Mon parcours… Et peut-être ma double culture ». Élevé dans les traditions africaines, il s’explique : « Nos origines, ce sont des atouts à mettre en avant. Si l’on regarde deux personnes qui ont fait les mêmes études, c’est peut-être cet élément qui jouera la différence car elles peuvent nous apporter une vision différente à un problème ».
Ses origines. Un vecteur de performance, oui, mais pas que. Elles sont aussi révélatrices d’un élément clé de son histoire. Amadou est né en Guinée. À 4 ans, sa mère et lui débarquent en France pour rejoindre le patriarche déjà installé. Les parents n’ont pas beaucoup d’argent et, au moment de partir, un choix difficile s’impose : ils ne peuvent emmener que l’un de leurs deux enfants. Ils prendront le plus petit, Amadou donc. Une décision qui pèsera avec le temps comme un certain poids: celui d’assurer et de ne pas se louper. Son grand frère ne les rejoindra qu’une dizaine d’année plus tard, et entre temps la famille s’est élargie avec trois nouveaux enfants. Souvent, il le rappelle : « je suis en quelque sorte devenu l’aîné de la famille ». Sans référents, il est l’exemple et en même temps celui qui doit honorer les sacrifices de ses parents. Et puis, comme les parents ne parlent pas très bien le français, il sera en charge des formalités administratives régulières. « Tout ça faisait que je ne pouvais pas trop m’amuser à faire le guignol », confie-t-il.
À dire vrai, Amadou ne s’érige pas en modèle. L’air détaché, il s’estime plutôt chanceux. « J’ai beaucoup travaillé, mais pas galéré », juge-t-il. À y réfléchir, il regrette surtout de ne pas avoir pris de raccourcis, par manque d’information notamment. C’est une paroisse, qu’il prêche d’ailleurs régulièrement : beaucoup de jeunes dans les quartiers sont mal ou peu conseillés sur leur orientation.
« Il ne faut pas que les jeunes se mettent des barrières. Si on veut quelque chose, il faut par tous les moyens trouver la personne qui pourra nous informer, et ne pas abandonner ou se dire que c’est parce qu’on ne connait personne que ce n’est pas pour nous ».
De cette petite frustration, est née une envie de faire bouger les lignes. « Partager nos expériences, cela permet ainsi qu’ils ne commettent pas les mêmes erreurs que nous et d’accélérer leur parcours », estime-t-il. Aussi, Amadou veut montrer que la diversité n’est pas une plaie. Et, ainsi dire à ses cadets « de ne plus se conformer, mais au contraire de s’assumer, de montrer que leur singularité est une richesse et Inch’Allah ils atteindront leurs objectifs ».
La citation qui le guide:
« J’ai parcouru ce long chemin vers la liberté. J’ai essayé de ne pas faiblir, j’ai fait beaucoup de faux pas. Mais j’ai découvert ce secret qu’après avoir gravi une haute colline, tout ce qu’on découvre c’est qu’il y en a encore beaucoup d’autres à gravir. Je me suis reposé ici un moment pour contempler le panorama magnifique qui m’entoure, pour regarder la distance parcourue. Mais je ne peux me reposer que pour un moment, car avec la liberté viennent les responsabilités, et je n’ose pas m’y attarder car ma longue promenade n’est pas terminée. » Nelson Mandela
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Par Magali Sennane & Gwel Photo