Le Président de la République l’a affirmé : “l’égalité des chances est une priorité de ce quinquennat”, avant d’énumérer, le 8 septembre à Clermont-Ferrand, une série de mesures destinées à encourager la réussite scolaire et l’insertion professionnelle des jeunes les plus défavorisés. Pour la première fois dans notre histoire, ce concept d’égalité des chances est au coeur du débat public, avec une Ministre, Elisabeth Moreno, qui l’intègre dans son périmètre d’action
Egalité des chances ? de quoi parle-t-on ? Les études et rapports se suivent et se ressemblent : sortons du déni, rappelons que la France est devenue l’un des pays développés où l’inégalité des chances est la plus forte ! Parmi ceux de l’OCDE, seuls la Hongrie, Israël et le Luxembourg se classent en-dessous de nous.
L’école laïque, gratuite et obligatoire, a fait notre fierté. Nous l’avons rêvée comme le creuset de notre nation, donnant à tous, enfants d’agriculteurs, d’ouvriers ou de bourgeois, les mêmes chances d’imaginer et de réaliser leur avenir. Mais les faits sont là. Dans sa mission de lutte contre les inégalités et de promotion sociale, notre chère école est aujourd’hui en échec.
Les parents les mieux informés – les plus favorisés – déploient des trésors de stratégie, parfois dès le primaire, pour amener leurs enfants vers les filières les plus prestigieuses de l’enseignement supérieur. Depuis 20 ans, le recours aux cours de soutien privés a explosé et aujourd’hui, les meilleurs collèges sont à 80% des collèges privés. La reproduction sociale marche à plein régime.
A l’inverse, dans les quartiers populaires, dans la France rurale ou périphérique, les enfants de familles défavorisées subissent de plein fouet la polarisation territoriale qui les cantonnent dans une France qui se perçoit comme déclassée, qui bien souvent, ne s’autorise plus à espérer.
Certes, il y a des moyens supplémentaires pour les REP (Réseaux d’Éducation Prioritaire) et le dédoublement des classes de CP. Bien sûr, les annonces du Président de la République vont dans le bon sens, qu’il s’agisse de multiplier les internats d’excellence ou d’augmenter l’ambition des Cordées de la Réussite, en s’appuyant sur les enseignants, premiers militants de la réussite de leurs élèves. Mais cela risque d’être insuffisant face à la réalité, aggravée par la crise sanitaire qui nous frappe : celle des absences de professeurs non remplacées, d’une proportion plus élevée d’enseignants contractuels souvent non formés, des classes agitées, des distances à franchir chaque jour, des limites financières, des destins qui vous sont assignés.
Comment faire changer un système qui mine à ce point les espoirs de centaines de milliers de jeunes et de leurs parents ? Comment ne pas voir que ce qui met aujourd’hui le feu aux poudres, c’est le sentiment parfois confus, mais profond, et légitime, que notre système est structurellement injuste ? Au-delà de la frustration, au-delà du pouvoir d’achat, s’exprime une colère qui prend sa source dans les inégalités de sort faites aux enfants, dès leur naissance.
Le pire c’est que tout cela se passe dans la plus grande indifférence. La nécessité d’accompagner les jeunes les plus défavorisés, parfois les plus discriminés, dans leurs accès aux stages et à l’emploi ? Pas un mot dans le plan de relance présenté le 3 septembre, qui ne mentionne que des mesures générales sans tenir compte des publics plus fragiles.
Personne ne manifeste pour demander l’égalité des chances ! Tout semble indiquer une profonde résignation, une sourde inertie, une acceptation de cette inégalité des possibles, qui nous condamne à un lent et inéluctable empoisonnement du vivre ensemble et de notre démocratie.
Depuis 15 ans, Article 1 a accompagné plus de 300 000 jeunes depuis leur orientation en fin de lycée jusqu’à leur premier emploi. Nous sommes fiers d’avoir fait notre part. Mais, dans ce moment de crise où cette situation d’inégalité des chances va encore s’exacerber, il faut faire beaucoup plus, sortir des quelques belles histoires qui ne sont que des exceptions consolantes, pour faire masse.
Le 10 septembre, à Paris, l’Association Article 1 lancera le Tour de France des Visages de la Réussite, une exposition itinérante pour nous ouvrir les yeux. Y sont dépeints les improbables parcours d’une soixantaine de jeunes de milieux populaires. Ils se sont émancipés en défiant cette féroce inégalité des possibles. Ils ont dû surmonter les inégalités de conditions d’études, défier les préjugés, déjouer les statistiques. Ils se sont battus pour réussir, là où d’autres n’ont eu qu’à travailler.
Chacun a son histoire : ils viennent de banlieues, de bassins d’emplois sinistrés, de petites villes ou de la campagne. Certains sont issus d’une immigration lointaine ou récente, ils sont de toutes couleurs de peaux, de toutes confessions. Mais ils ont un point commun : ils veulent conjuguer leur réussite personnelle avec leur engagement pour les autres, et ils savent juste qu’ils devraient être beaucoup plus nombreux.
Cette exposition n’est pas là pour entretenir le mythe de l‘égalité des chances. C’est une promesse, car elle illustre la diversité des talents de notre jeunesse, quand on lui laisse la chance de s’exprimer. C’est un avertissement contre l’ignorance, contre la complaisance, contre la complicité avec une injustice qui touche environ un jeune sur trois dans notre pays.
Comme pour l’inégalité homme-femme, il est temps d’ouvrir les yeux. Vos mots et ces premières actions, Monsieur le Président, sont bienvenus. Il s’agit peut-être des prémices d’une prise de conscience de tous, mais il nous faudra bien du courage collectif pour ne pas rester dans une égalité des chances incantatoire. Ce qui est devant nous, c’est une nécessaire mobilisation de tous, une profonde et vigoureuse remise en cause des pratiques et des esprits pour restaurer notre promesse républicaine, selon laquelle c’est « selon (ses) capacités et sans autre distinction que celles de (ses) vertus et de (ses) talents. » que l’on réussit dans notre pays.
Benjamin Blavier et Boris Walbaum